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Les productions Schneer / Harryhausen

Dossier
Bien après King Kong et bien avant Star Wars, les productions Schneer / Harryhausen ont constitué pendant près d’un quart de siècle la référence absolue en matière d’effets spéciaux. Limités par des budgets plus que modestes, en butte à une critique de l’époque méprisante vis-à-vis du divertissement à grand spectacle, les films produits par le duo ont su toucher un large public et réussi au fil du temps à s’inscrire dans la mémoire collective.

Aujourd’hui ils constituent encore une source d’inspiration inépuisable pour tous les réalisateurs attirés par le fantastique « grand public » et les effets spéciaux : Spielberg, Lucas, Landis et tous les autres doivent énormément au tandem Schneer / Harryhausen. Cet article retrace la carrière des deux compères et résume les principales caractéristiques de leur œuvre.


La genèse
On sait peu de choses sur Charles Schneer avant sa rencontre avec Ray Harryhausen. Une naissance en 1920 en Virginie, des études à l’université de Columbia, un passage dans l’armée comme photographe pendant la Seconde Guerre mondiale, et enfin un emploi de producteur exécutif chez Columbia Pictures, avec qui il débute dès 1953 une fructueuse collaboration.

Bien plus célèbre est son associé Ray Harryhausen ; tout a déjà été dit ou presque sur le «magicien des effets spéciaux ». On se contentera ici de rappeler l’essentiel : À 13 ans (il est né en 1920 comme son futur associé), il éprouve un véritable choc esthétique en découvrant le film King Kong (de Schoedsack & Cooper) au cinéma, et décide de devenir créateur d’effets spéciaux. Son idole de l’époque s’appelle Willis O’Brien, le directeur des effets spéciaux de King Kong ; Harryhausen s’inspirera beaucoup de sa technique d’animation en image par image pour réaliser ses propres effets. Après des études de sculpture, il signe quelques courts-métrages d’animation destinés à passer en première partie de programme dans les cinémas, puis se fait repérer par Willis O’Brien en personne, qui lui propose d’intégrer son équipe sur le film Mighty Joe Young (Ernest Schoedsack, 1949). Cette sympathique histoire de singe géant sera à la fois la première participation de Ray Harryhausen et la dernière de Willis O’Brien à un long-métrage de cinéma. Pour l’anecdote, Harryhausen n’est pas crédité au générique, les effets spéciaux étant attribués à « Willis O’Brien et son équipe. »

Harryhausen occupe ensuite le poste de « chefs effets spéciaux » sur plusieurs films catastrophes, un genre très prisé dans les années 50 : The beast from 20.000 fathoms (Eugène Lourié, 1953), puis It came from beneath the sea ( Robert Gordon, 1955), où sa route croise celle de Charles Schneer.


Les années Morningside (1957-1981)
Sur le tournage de It came from beneath the seas, les deux hommes se découvrent de réelles affinités et décident de créer leur propre compagnie, Morningside Productions, qui produira une douzaine de films en 25 ans. Leur première œuvre est 20 million miles to Earth (Nathan Juran, 1957) un film catastrophe typique de l’époque, où une créature extra-terrestre gigantesque débarque sur notre planète pour y commettre de terribles ravages, avant que l’armée ne la mette hors d’état de nuire.

La sortie de 7th voyage of Sindbad (Nathan Juran, 1958), marque une véritable rupture et pose les bases de ce que sera le véritable style Schneer / Harruhausen. C’est le premier film du tandem à être tourné en couleurs, et aussi le premier à utiliser le fameux procédé Dynamation, considéré à l’époque comme révolutionnaire. Il s’agit en fait d’une combinaison entre deux procédés bien plus anciens ; l’animation « image par image », popularisée par Willis O’Brien sur des films comme The lost world (1925) ou King Kong, et le « cache contre cache », que Georges Méliès utilisait déjà dès le début du XXe siècle. Le résultat permet au spectateur de voir se mêler, sur un même plan, des prises de vue réelles et des images animées, le tout avec un réalisme inégalé. Une habile campagne de promotion fait le reste : 7th voyage of Sindbad, distribué par Coumbia Pictures, est un des plus grands succès de l’année, et lance définitivement la carrière de Morningside Production.

Schneer et Harryhausen enchaînent ensuite les films, au rythme de un tous les deux ou trois ans. Après The Three Worlds of Gulliver (Jack Sher, 1960) et Mysterious Island (Cy Endfield, 1961) vient ensuite ce qui est considéré comme le plus grand chef-d’œuvre du duo : Jason and the Argonauts (Don Chaffey, 1963) et sa célèbre séquence de bataille entre les héros et 7 squelettes animés image par image. One million years BC (Don Chaffey, 1966) est également un gros succès, même si on a pu supposer à l’époque que ce sont les formes de Raquel Welch, plus que les effets spéciaux de Ray Harryhausen, qui ont attiré les spectateurs dans les salles. The valley of Gwangi (Jim O’Connolly, 1969), un film assez original mêlant western et créatures préhistoriques, marque le premier échec commercial du tandem, qui ne parviendra jamais par la suite à retrouver le succès qui fut le sien au tournant des années 60. Dans les années 70, le rythme de production se ralentit, Schneer et Harryhausen capitalisent sur leurs succès passés en tournant deux nouveaux volets des aventures de Sinbad le marin : The golden voyage of Sinbad (Gordon Hessler, 1973), puis Sinbad and the eye of the tiger (Sam Wanamaker, 1977). En 1981, les deux compères parviennent à obtenir de Columbia Pictures un budget de 15 millions de dollars, le plus important de leur carrière, pour tourner un projet qui leur tient à cœur : Clash of titans (Desmond Davis, 1981), adaptation du mythe grec de Persée. Même si à sa sortie le film a déjà un caractère désuet (Star Wars, Alien et bien d’autres sont passés par là), il remporte néanmoins un grand succès et permet au duo de terminer sa carrière en beauté. Schneer et Harryhausen entrent ensuite dans une retraite dont ils ne sortiront plus – ils sont décédés respectivement en 2009 et 2013.


L’atelier du merveilleux
Un merveilleux atelier, voilà comment on pourrait en peu de mots résumer l’identité de Morningside Productions.

Merveilleux d’abord, car il s’agit du registre dans lequel s’inscrivent tous les films du duo Schneer Harryhausen. Si l’on excepte 20 million miles to Earth, qui est encore un film catastrophe « classique », tous les autres s’évadent totalement du réel, emmènent le spectateur vers des époques ou des pays lointains, quand ce n’est pas vers des univers totalement imaginaires. Les sujets sont le plus souvent empruntés aux grands mythes (mythologie grecque pour Jason and the argonauts et Clash of titans, contes des mille et une nuits pour la trilogie Sinbad) ou aux classiques de la littérature fantastique (Swift pour The three worlds of Gulliver, Jules Verne pour Mysterious Island). Plus d’angoisse, plus de réflexion, il s’agit seulement de faire rêver le spectateur. La psychologie des personnages est en général peu fouillée : un héros au cœur pur, une demoiselle amoureuse, un affreux méchant, quelques faire-valoir vaguement rigolos sont les invariants qu’on retrouve de film en film. Le scénario, souvent linéaire et peu rigoureux, sert de prétexte à aligner un maximum de péripéties ou les héros croisent le fer avec des monstres fabuleux. Bref c’est le règne de la grande aventure, celle qu’on savoure pleinement à condition de se laisser porter sans se poser trop de questions.

« Atelier » ensuite car on a bien affaire à une production artisanale. À l’exception de Clash of Titans, les budgets mis en œuvre sont en général des plus modestes (jamais plus d’un million de dollars). C’est d’ailleurs pour limiter les coûts de production que Charles Schneer a décidé d’installer sa société en Europe. Les scènes en studio sont tournées à Londres, où est implanté le siège de Morningside Productions, et où la location de plateaux coûte bien moins cher qu’à Hollywood. Les tournages en extérieur ont lieu un peu partout autour du bassin méditerranéen, qui offre gratuitement tout ce dont un réalisateur peut rêver : mer, montagne, temples antiques, châteaux forts, le tout garanti 100% authentique.

Mais c’est surtout la manière dont sont réalisés les effets spéciaux qui donne aux films leur caractère artisanal : Ray Harryhausen fait tout tout seul, et à la main. Il confectionne lui-même sous forme de poupées ses monstres fantastiques, les anime, les filme, et va même souvent jusqu’à diriger lui-même les prises de vue réelles dans lesquelles ses créatures seront ultérieurement insérées. Il faut en moyenne un an à Harryhausen pour réaliser les effets spéciaux d’un seul film, ce qui implique un rythme de production assez lent. Ce travail de fourmi débouche sur la création d’un bestiaire particulièrement hétéroclite où se croisent centaure, cyclope, dragon, dinosaures, animaux géants… Ses créations citées comme les plus fameuses sont l’armée de squelettes de Jason and the Argonauts et la terrible Méduse de Clash of Titans, son film « testament ».


Les productions Schneer / Harryhausen en DVD et Blu-ray
L’incroyable inventivité des productions Morningside est aujourd’hui reconnue dans le monde entier. Des films comme 7th voyage of Sindbad ou Jason and the Argonauts sont considérés comme des classiques, et la vie de Ray Harryhausen a même fait l’objet d’un documentaire au cinéma : Ray Harryhausen, le titan des effets spéciaux (Gilles Penso, 2011). Aussi les éditions DVD et Blu-ray ne manquent pas, en zone 1 ou 2, la plupart chez Sony Pictures Home Entertainment (Columbia / Tri-Star) qui était également le distributeur habituel des films Morningside au cinéma. Parmi les rares exceptions, citons Clash of Titans, distribué au cinéma par MGM et édité en DVD et Blu-ray par Warner. Évidemment la qualité et la quantité des DVD/Blu-ray distribués dépendent du succès du film. Sauf erreur, notons que tout le catalogue a bel et bien été édité.


Filmographie
1957 : À des millions de kilomètres de la Terre (20 Million Miles to Earth)
1958 : Le Septième voyage de Sinbad (The 7th Voyage of Sinbad)
1960 : Les Voyages de Gulliver (The 3 Worlds of Gulliver)
1961 : L'Île mystérieuse (Mysterious Island)
1963 : Jason et les Argonautes (Jason and the Argonauts)
1964 : Les Premiers Hommes dans la Lune (First Men in the Moon)
1966 : Un million d'années avant J.C. (One Million Years B.C.)
1969 : La Vallée de Gwangi (The Valley of Gwangi)
1974 : Le Voyage fantastique de Sinbad (The Golden Voyage of Sinbad)
1977 : Sinbad et l'œil du tigre (Sinbad and the Eye of the Tiger)
1981 : Le Choc des Titans (Clash of the Titans)


Sources
- Dictionnaire Larousse du Cinéma, édition 2002
- www.imdb.com
- www.wikipedia.fr
- www.rayharryhausen.com
- « Ray Harryhausen, l’homme qui faisait danser les squelettes », lemonde.fr, 8 mai 2013
- Coffret DVD « Sinbad - la trilogie », Columbia, 2004


Auteur: Sébastien Bouché
Date de publication: 01/06/2015
Dernière révision: 01/06/2015