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Sony F65: premiers retours

Dossier
Les tournages à très haute résolution n’ont plus rien d’expérimental : le duo Epic / Alexa déjà très actif sur le marché, au point de s’illustrer à Cannes 2012. De rouille et d’os, le film d’Audiard, a été tourné avec l’Epic (Redcode Raw 5k) et Amour d’Haneke a été tourné en Alexa (Arriraw).

Plus significatif, le marché de la projection 4K, longtemps indigent en France, vient d’exploser en quelques mois : 150 salles sont équipées, dont 50 en systèmes Sony, qui va en installer une centaine d’autres d’ici la rentrée (restons modestes, il y en a déjà plus de 15000 dans le monde). Ce sont surtout les indépendants et les petits circuits qui s’équipent : les grands sont déjà massivement équipés en 2K, leur problématique sera surtout celle de la mise à jour.

Au Québec, sauf erreur, on compte une douzaine de salles prêtes pour projection 4K.

Cela signifie que voir son œuvre diffusée en 4K n’a plus rien d’utopique. Des DCP 4K ont été distribués pour les derniers films de Haneke, Audiard mais aussi Carax et Depardon , dont Journal de France, mélange des sources très diverses, plus les inévitables grands succès américains comme The Dark Knight Rises et Spiderman 4.

La caméra Sony F65 rejoint le duo précité, avec des caractéristiques qualitatives et opérationnelles très impressionnantes. 1er long métrage : After Earth de Night Shyamalan.

Quid des courts-métrages?
Sony en a justement commandité 3, présentés le 12 juin 2012 au Studio 28 (Paris, France), pour explorer les qualités de la F65 :

De fait Générations, de Pete Farrer (UK), Eldorado de Curtis Clark (USA) et The Wind Blows de Sam Fujishi (Japon) sont très différents. Philippe Ros, qui avait travaillé sur Generations, présentait aussi Ecobot, un court film de Ben Elia produit par HD Systems qu’il avait tourné en France, montré en étalonnage naturel et dans une version très retravaillée.

Generations évoque une famille de passionnés d’automobile. Propriétaires de Bugatti, Jaguar, Ferrari : on n’est clairement pas chez Ken Loach ; mais le temps brumeux du nord de l’Angleterre se prête bien à l’exploration des demi-teintes et des reflets sur la peinture.

Brouillard oblige, malgré l’utilisation d’optiques Leica Summilux ce n’est pas la précision qui frappe ici, sauf sur un gros plan de regard d’enfant et un plan de cours d’eau, mais la subtilité chromatique et dynamique. L’équipe a travaillé à grande ouverture, T 2, voire moins, explorant les flous avec force filtres neutres (la sensibilité nominale est de 800 ISO). L’oscillo a été rapidement laissé de côté au profit d’un travail au spotmètre et au contrôle sur un super moniteur Sony Oled BVM E250, qui offre un contraste et un espace couleur très étendus.

Le film privilégie les plans longs, la consommation de mémoires a été moindre que prévue : 1 carte SRmemory 512 GO par jour, enregistrement en 4K natif (RAW). Le contrôle le soir s’effectuait en 2K. Initialement réglée en gamma Slog, la sortie a été basculée en mode Slog2, qui préserve mieux la dynamique de la F65.

La caméra supporte la spécification AMPAS IIF-ACES, le nouvel espace de couleur de l’AMPAS (Academy of Motion Pictures Arts and Sciences), mais la dernière version ACES n’était pas disponible au moment du tournage.



La gamme de couleurs et la dynamique excèdent clairement ceux du 35mm, la résolution aussi : le capteur est un CMOS 8K qui donne du vrai 4K dans chacune des couleurs. Une résolution gardée tout au long de la chaîne, contrairement à l’argentique : c’est à juste titre que la dénomination F65 évoque le 70mm !



Cette filière a tout pour tuer une présentation IMAX mais sur cet aspect-là, Generations n’en est pas le meilleur exemple. Eldorado de Curtis Clark est plus spectaculaire avec ses vues de désert rocailleux fourmillant de détails (travail sur la résolution), sa somptueuse Cadillac Eldorado 1957 dont la caméra rend à la fois le noir profond et les chromes rutilants (travail sur la dynamique, énorme ici), ses vues de Las Vegas la nuit (sensibilité) et la mise en valeur de sa comédienne, extraordinaire de présence (travail sur les textures, carnation, maquillage des yeux, détails de la chevelure).

Ce qui frappe ici, plus encore qu’avec Generations, est l’absence apparente de texture propre à la caméra, au profit des textures des objets filmés. Pas de soupçon de bruit ni de grain, on a l’impression de regarder à travers un viseur clair sans dépoli. Cela laisse une totale liberté créative à l’étalonnage, et de fait le coloriste Steve Bowen (Colorworks ) a maximalisé l’exploitation du codage 16 bits en travaillant à partir des fichiers natifs (RAW) 4K dans un environnement ACES.

Cela dit les nombreux travellings du film faisaient apparaître, sur certains plans, un effet gênant. S’agit-il de stroboscopie ? Pas vraiment. Tout panoramique ou travelling latéral provoque logiquement un flou de bougé : le temps d’exposition est relativement long en cinéma. Compte tenu de l’énorme résolution de la F65 et des optiques associées, cet effet de perte de résolution devient très sensible, particulièrement sur les plans à forte profondeur de champ, très nets quand ils sont fixes, très immersifs. Le recours à l’obturateur mécanique de résout pas le problème. Cet effet justifierait à lui seul le passage à 48 images seconde (la caméra tourne jusqu’en 120p, c’est surtout un problème d’exploitation ultérieure).

L’un des soucis de Philippe Ros sur Ecobot était justement de guider l’œil du spectateur devant un potentiel excès de détails en jouant subtilement de la profondeur de champ. La caméra est le plus souvent au niveau du sol, dans les blés, l’herbe ou les feuillages. Ce qui est au point est très net, mais naturellement, sans effet de suraccentuation vidéo, et le reste d’un flou modulé, lui aussi naturel. Cette version très maitrisée, réfléchie, est sans doute plus intéressante que la version très interprétée présentée ensuite, qui est surtout une exploration des possibilités d’étalonnage (Laurent Desbrueres) et de calibration, jeux sur les gammas, LUTS (Olivier Garcia). Non pas que cette exploration soit mineure, bien au contraire : comme tous les fichiers natifs (RAW), ceux de la F65 doivent être développés, donc interprétés. Sony a sa solution qui pour certains n’est pas optimale. Heureusement, pour Tommaso Vergalo (Digimage), il existe maintenant d’autres solutions de développement, qui évitent aux laboratoires de racheter du matériel et permettent d’aller plus loin. Une démarche que connait bien Philippe Ros qui, dans une étude sur l’optimisation Sony F35/rendu des optiques Cooke5/I, avait réussi à gagner 1,5 diaphragme dans les basses lumières en créant une nouvelle courbe de gamma , la HDS400.

Le rendu des optiques prend une importance particulière en 4K. Pas seulement en terme de résolution limite: le flou est différent entre un Leica Summilux C, un Cooke S4, un zoom Fujinon ou Angénieux Optimo et la caméra rend perceptibles des subtilités simplifiées en 2K.

Ces paramètres ont leur importance si l’on veut jouer sur la profondeur ou simplement travailler en basse lumière. C’est le cas de Sam Fujishi dont le film The Wind Blows se passe principalement entre chien et loup à Tokyo. La dimension 4K semble moins évidente que dans les autres films. L’utilisation d’un filtre Black Promist 1/8 n’est sans doute pas étrangère à cette impression ; c’est surtout la qualité du rendu existing light qui impressionne, la sensibilité et l’absence de bruit. Fujishi aurait pu aller plus loin, sans son utilisation d’un Promist et sans la conversion des fichiers en DFPX 12 bits, le Quantel Pablo utilisé à l’étalonnage ne gérant pas les fichiers natifs (RAW) de la F65.


Utiliser une F65 pour un court métrage ?
Oui c’est raisonnable parce qu’un maillage de salles 4K commence à exister .

Oui c’est justifié si l’on recherche une dynamique, un espace couleur ou une résolution supérieure au 35mm.

Oui si l’on a une équipe qui maitrise les matériels et les procédures Dcinéma.

Oui parce que, même réduite en 2K, l’image garde un contraste dans les microdétails supérieurs : pour passer le 4K, une optique a besoin d’un contraste à 2K très élevé. Devant le succès des Leica Summilux C tous les constructeurs développent de nouvelles optiques 4K.

La F65 permet d’écrire dans des registres très différents, allant du travail subtil sur les textures aux images spectaculaires de type IMAX. Un potentiel à explorer : comme dit Philippe Ros ''elle en a sous le capot !''.

Auteur: Guy-Louis Mier
Date de publication: 01/04/2013
Dernière révision: 01/04/2013