L'Ultra HD: des normes éphémères?
Dossier
Sil il a du plomb dans laile: les distributeurs Belges, Norvégiens et Luxembourgeois arrêteront sans doute la distribution en argentique cette année, le 35mm est un objet industriel dune longévité exceptionnelle. Un projecteur actuel peut projeter un film tourné à Samarkand il y a un siècle (1) et inversement « The Artist» peut très bien passer sur un projecteur 35mm de 1910. Sans le son bien sûr, puisquil nest pas équipé ; larrivée du parlant navait pas envoyé les projecteurs muets à la poubelle : on leur a adjoint un lecteur optique et, 25 ans plus tard, certains ont reçu un lecteur magnétique 4 pistes pour le scope (jai vu un de ces projecteurs increvables dans la cabine dune vieille salle municipale).
La robustesse de cette première la norme audiovisuelle a été un facteur clé de lextension planétaire du cinéma parce que la chaîne 35mm est cohérente : géographiquement mais aussi dans ses composantes : support négatif et positif, support denregistrement et de mixage sonore (défileurs 35mm son optique puis magnétique), copies, projecteurs.
Les choses se sont gâtées avec limage électronique : la télévision a été la tour de Babel de laudiovisuel, des pans de la planète se sont mis à parler des langues techniques différentes : NTSC, PAL, SECAM, chacune dotée de variantes. Au point que la pellicule est longtemps restée loutil déchange de programmes le plus pratique. Les États-Unis ont toujours privilégié le 35mm pour les séries dont ils inondent la planète. En France le SECAM («System Essentially Counter-AMerican prétendent les anglo-saxons) aura vécu 45 ans, du lancement de la couleur à lextinction de lanalogique. Et encore, dès les années 80 lenregistrement et la post-production se faisaient en PAL, le SECAM étant confiné à la diffusion (hertzienne ou sur cassettes).
Le divorce entre format dacquisition et norme dexploitation était consommé, et le passage au numérique na pas amélioré les choses.
Lencadrement du Cinéma numérique par les recommandations de la DCI (Digital Cinema Initiatives), repris sous forme de normes nationales, concerne dabord lexploitation, mais conditionne de fait la prise de vue et la post-production : autant profiter au mieux des caractéristiques des conteneurs : 2048*1080, recevant le plus souvent une image de 1920*1080 pixels, et 4096*2160 pixels. Limage 2K progressive peut être cadencée à 24 ou 48 images par seconde.
De fait le 2K est la norme la plus utilisée en production et en exploitation. En France par exemple 4470 salles sur 5500 sont passées au numérique, mais quasiment toutes en 2K. De plus les retardataires sont généralement des salles uniques, les mécanismes daides favorisant les complexes. Quand elles arrivent à se financer, ces salles optent pour le 2K, moins cher, alors que plus de 16000 salles projettent déjà en 4K à travers le monde, principalement en Amérique du Nord.
Dans le même temps Sony sort un projecteur 4K destiné au cinéma maison, dautres constructeurs en annoncent, ainsi que des écrans LCD 4K mais il ny a toujours rien à projeter dans ce standard ! Pas de Blu-ray 4K, ni de lecteurs, ni de programmes télévisuels, ni de vidéo sur demande (VOD). Comme en salle, le projecteur Sony 4K sert surtout à lisser des sources 2K. Il le fait dailleurs très bien.
Or voici que lon commence à sortir par le haut de cette norme...
Peter Jackson tourne The Hobbit non seulement en stéréoscopie binoculaire mais aussi en 5K à 48 images par seconde, une combinaison absolument hors norme. Le 48 images par seconde nest prévu que pour le 2K et la possibilité même de tourner un jour en plus que 4K est ignorée (Jackson utilise 48 caméras Red Epic dont limage est de 5120x2700 pixels) . (2)
On peut légitimement sinterroger sur la manière dont le film sera exploité. Pas dans sa qualité originelle en tous cas : le matériel nexiste pas ! On se retrouve dans la logique VistaVision où lon tournait en 35mm sur à 8 perforation (défilement horizontal) pour exploiter en 35mm classique, le négatif de grande taille diminuant la granulation et augmentant le contraste des détails fins. Même en 2K en 3D 48 images par seconde, la démonstration prévue à lIDIFF en janvier dernier a fait long feu (pour des questions de droits, parait-il ).
Outre la résolution, lautre enjeu est la cadence. La norme actuelle permet le 48 images par secondes en 2K mais la demande dune augmentation est ancienne, même si Cameron sen est emparé aujourdhui. En 1999 Dean Goodhill faisait la promotion du « Maxivision », du 35mm 3p à 48 images par secondes, et presque 20 ans plus tôt Douglas Trumbull lançait le Showscan, du 70mm à 60 images par secondes. Outre une restitution fluide des mouvements rapides évidente sur un travelling latéral accompagnant des chevaux au galop dans la démo « France » projetée à lErmitage, sur les Champs Elysées, au début des années 80 lavantage était une disparition totale de la granulation. En effet à cette vitesse la persistance rétinienne fait que lil moyenne 8 images.
Cet avantage-là disparait avec la fixité de la matrice de limage numérique, mais la fluidité accrue du mouvement est un avantage réel. Au point que la norme ISO 26428 vient de subir quelques modifications intégrant de nouvelles fréquences de projection.
Mais les fabricants vont encore plus vite : la NHK, lentreprise nationale de radio-télévision japonaise, vient de sortir, avec laide de lUniversité Shizuoka et du Research Institute of Electronics, un capteur CMos de 33Mpixels capable de fournir 120 images par secondes en 7680x4320 pixels ! Et cela avant même que la norme Ultra HD8K soit finalisée.
Lappareil photo Nikon D800, recordman de la résolution en 24x36mm avec 36Mpix, culmine en rafale à 4 images par secondes et, en vidéo, se contente de 1920x1080 pixels (en 4:2:2).
Le capteur NHK nest-il quun effet dannonce, une manière de marquer son territoire ? Rien nest moins sûr : dès les Jeux Olympiques de 2012 la NHK prévoit de diffuser pour un public restreint les épreuves en 8K ! 120 images à la seconde sont évidemment utiles pour détailler des séquences sportives et le 8K permet de donner un visage à chaque spectateur des gradins.
Encore faut-il que loptique suive, sur tout le champ. Sur ce capteur au format 35mm (ici 21.5x12.1mm), cette résolution signifie 357 pixels au mm, 178 paires de traits. A cette finesse on na plus besoin de filtre anti-aliasing (le D800 E en est dépourvu) ce qui permet de garder un contraste maximum à la fréquence déchantillonnage. Dans le même temps un négatif 35 scanné, post- produit et kinescopé en 4K tutoie les 50 cycles au mm, avec un contraste résiduel de 10% (travaux Arri) et le résultat est plus que satisfaisant !
On peut alors sinterroger sur lutilité, pour autant quon latteigne concrètement, dune super résolution comme lUltraHD.
Pourtant ce nest pas de la science fiction : les appareils grand public sont prévus pour 2020, cest à dire seulement dans 8 ans.
8 ans, cest un clin dil dans la vie dune cabine de projection. Comment espérer que les exploitants passent au 4K si leur matériel, et loffre qualitative faite au spectateur, est obsolète si rapidement ? Si le spectateur dispose chez lui de son 22.2 et de 16 fois plus de pixels quen salle 2K ? LUltraHD8K deviendra-t-il le conteneur ultime (comme le 4K aujourdhui) capable dexploiter The Hobbit, des films en relief sans lunettes, une sorte de Super Imax et les films en 2K ?
Les règlementations DCI, Afnor 527-100, ISO 26428 ont décidément des vies de plus en plus en plus courtes, ce qui interpelle leur pertinence pour lindustrie qui a besoin de stabilité.
Question subsidiaire : comment allons nous écrire pour un support comme lultraHD ?
Guy-Louis MIER avec lautorisation du magazine BREF.
(1) Hors éventuel retrait, et si lon veut éviter denflammer le support nitrate il vaudra mieux le regarder sur une table de montage.
(2) Quon ne reprenne pas le refrain « 5120 pixels en mono capteur ça ne fait pas du 5K » : lEpic enregistre en RAW et les softs de développement ont fait et font des progrès considérables ; de toutes façons à ce niveau la résolution de limage est beaucoup plus limitée par les optiques que par le capteur.
La robustesse de cette première la norme audiovisuelle a été un facteur clé de lextension planétaire du cinéma parce que la chaîne 35mm est cohérente : géographiquement mais aussi dans ses composantes : support négatif et positif, support denregistrement et de mixage sonore (défileurs 35mm son optique puis magnétique), copies, projecteurs.
Les choses se sont gâtées avec limage électronique : la télévision a été la tour de Babel de laudiovisuel, des pans de la planète se sont mis à parler des langues techniques différentes : NTSC, PAL, SECAM, chacune dotée de variantes. Au point que la pellicule est longtemps restée loutil déchange de programmes le plus pratique. Les États-Unis ont toujours privilégié le 35mm pour les séries dont ils inondent la planète. En France le SECAM («System Essentially Counter-AMerican prétendent les anglo-saxons) aura vécu 45 ans, du lancement de la couleur à lextinction de lanalogique. Et encore, dès les années 80 lenregistrement et la post-production se faisaient en PAL, le SECAM étant confiné à la diffusion (hertzienne ou sur cassettes).
Le divorce entre format dacquisition et norme dexploitation était consommé, et le passage au numérique na pas amélioré les choses.
Lencadrement du Cinéma numérique par les recommandations de la DCI (Digital Cinema Initiatives), repris sous forme de normes nationales, concerne dabord lexploitation, mais conditionne de fait la prise de vue et la post-production : autant profiter au mieux des caractéristiques des conteneurs : 2048*1080, recevant le plus souvent une image de 1920*1080 pixels, et 4096*2160 pixels. Limage 2K progressive peut être cadencée à 24 ou 48 images par seconde.
De fait le 2K est la norme la plus utilisée en production et en exploitation. En France par exemple 4470 salles sur 5500 sont passées au numérique, mais quasiment toutes en 2K. De plus les retardataires sont généralement des salles uniques, les mécanismes daides favorisant les complexes. Quand elles arrivent à se financer, ces salles optent pour le 2K, moins cher, alors que plus de 16000 salles projettent déjà en 4K à travers le monde, principalement en Amérique du Nord.
Dans le même temps Sony sort un projecteur 4K destiné au cinéma maison, dautres constructeurs en annoncent, ainsi que des écrans LCD 4K mais il ny a toujours rien à projeter dans ce standard ! Pas de Blu-ray 4K, ni de lecteurs, ni de programmes télévisuels, ni de vidéo sur demande (VOD). Comme en salle, le projecteur Sony 4K sert surtout à lisser des sources 2K. Il le fait dailleurs très bien.
Or voici que lon commence à sortir par le haut de cette norme...
Peter Jackson tourne The Hobbit non seulement en stéréoscopie binoculaire mais aussi en 5K à 48 images par seconde, une combinaison absolument hors norme. Le 48 images par seconde nest prévu que pour le 2K et la possibilité même de tourner un jour en plus que 4K est ignorée (Jackson utilise 48 caméras Red Epic dont limage est de 5120x2700 pixels) . (2)
On peut légitimement sinterroger sur la manière dont le film sera exploité. Pas dans sa qualité originelle en tous cas : le matériel nexiste pas ! On se retrouve dans la logique VistaVision où lon tournait en 35mm sur à 8 perforation (défilement horizontal) pour exploiter en 35mm classique, le négatif de grande taille diminuant la granulation et augmentant le contraste des détails fins. Même en 2K en 3D 48 images par seconde, la démonstration prévue à lIDIFF en janvier dernier a fait long feu (pour des questions de droits, parait-il ).
Outre la résolution, lautre enjeu est la cadence. La norme actuelle permet le 48 images par secondes en 2K mais la demande dune augmentation est ancienne, même si Cameron sen est emparé aujourdhui. En 1999 Dean Goodhill faisait la promotion du « Maxivision », du 35mm 3p à 48 images par secondes, et presque 20 ans plus tôt Douglas Trumbull lançait le Showscan, du 70mm à 60 images par secondes. Outre une restitution fluide des mouvements rapides évidente sur un travelling latéral accompagnant des chevaux au galop dans la démo « France » projetée à lErmitage, sur les Champs Elysées, au début des années 80 lavantage était une disparition totale de la granulation. En effet à cette vitesse la persistance rétinienne fait que lil moyenne 8 images.
Cet avantage-là disparait avec la fixité de la matrice de limage numérique, mais la fluidité accrue du mouvement est un avantage réel. Au point que la norme ISO 26428 vient de subir quelques modifications intégrant de nouvelles fréquences de projection.
Mais les fabricants vont encore plus vite : la NHK, lentreprise nationale de radio-télévision japonaise, vient de sortir, avec laide de lUniversité Shizuoka et du Research Institute of Electronics, un capteur CMos de 33Mpixels capable de fournir 120 images par secondes en 7680x4320 pixels ! Et cela avant même que la norme Ultra HD8K soit finalisée.
Lappareil photo Nikon D800, recordman de la résolution en 24x36mm avec 36Mpix, culmine en rafale à 4 images par secondes et, en vidéo, se contente de 1920x1080 pixels (en 4:2:2).
Le capteur NHK nest-il quun effet dannonce, une manière de marquer son territoire ? Rien nest moins sûr : dès les Jeux Olympiques de 2012 la NHK prévoit de diffuser pour un public restreint les épreuves en 8K ! 120 images à la seconde sont évidemment utiles pour détailler des séquences sportives et le 8K permet de donner un visage à chaque spectateur des gradins.
Encore faut-il que loptique suive, sur tout le champ. Sur ce capteur au format 35mm (ici 21.5x12.1mm), cette résolution signifie 357 pixels au mm, 178 paires de traits. A cette finesse on na plus besoin de filtre anti-aliasing (le D800 E en est dépourvu) ce qui permet de garder un contraste maximum à la fréquence déchantillonnage. Dans le même temps un négatif 35 scanné, post- produit et kinescopé en 4K tutoie les 50 cycles au mm, avec un contraste résiduel de 10% (travaux Arri) et le résultat est plus que satisfaisant !
On peut alors sinterroger sur lutilité, pour autant quon latteigne concrètement, dune super résolution comme lUltraHD.
Pourtant ce nest pas de la science fiction : les appareils grand public sont prévus pour 2020, cest à dire seulement dans 8 ans.
8 ans, cest un clin dil dans la vie dune cabine de projection. Comment espérer que les exploitants passent au 4K si leur matériel, et loffre qualitative faite au spectateur, est obsolète si rapidement ? Si le spectateur dispose chez lui de son 22.2 et de 16 fois plus de pixels quen salle 2K ? LUltraHD8K deviendra-t-il le conteneur ultime (comme le 4K aujourdhui) capable dexploiter The Hobbit, des films en relief sans lunettes, une sorte de Super Imax et les films en 2K ?
Les règlementations DCI, Afnor 527-100, ISO 26428 ont décidément des vies de plus en plus en plus courtes, ce qui interpelle leur pertinence pour lindustrie qui a besoin de stabilité.
Question subsidiaire : comment allons nous écrire pour un support comme lultraHD ?
Guy-Louis MIER avec lautorisation du magazine BREF.
(1) Hors éventuel retrait, et si lon veut éviter denflammer le support nitrate il vaudra mieux le regarder sur une table de montage.
(2) Quon ne reprenne pas le refrain « 5120 pixels en mono capteur ça ne fait pas du 5K » : lEpic enregistre en RAW et les softs de développement ont fait et font des progrès considérables ; de toutes façons à ce niveau la résolution de limage est beaucoup plus limitée par les optiques que par le capteur.