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DVDEF
 

Le défi du Transmédia

Dossier
Fondamentalement le court et le long-métrage ont une même manière de faire « du cinéma » : on entre dans une histoire ou un univers et l’auteur, quel que soit le truchement choisi, nous fait suivre un itinéraire unique vers une chute. Cette position manipulatrice, totalitaire et figée peut sembler insatisfaisante à certains créateurs et au public.

Côté réalisateur, Francis Ford Coppola vient de franchir un pas avec Twixt en se donnant la possibilité de modifier son montage en temps réel en fonction des réactions du public. Le réalisateur reste le deus ex machina, le manipulateur suprême.

Pourtant le public a retrouvé un premier degré de liberté avec l’apparition du multimédia, dès les années 70.

Mot clé : « Interactivité » ! Au début elle est minimale : en 1974 Dan Graham intègre les spectateurs grâce à des miroirs temporels (filmé, le spectateur peut ensuite se voir dans la pièce à côté avec un retard de 8 secondes). L’informatique et le CDRom ont permis de développer des arborescences de plus en plus complexes, utilisées surtout dans les secteurs de la pédagogie et du jeu.

Le DVD est lui aussi par construction interactif, et les premiers essayaient d’exploiter au mieux toutes les ressources du multi-angle ou de la navigation. Les enfants de Lumière par exemple (Jacques Perrin/Jacques Siclier, 1995), pousse très loin la navigation malgré un graphisme trop sage. D’autres DVD, surtout américains (Black Hawk, Planet of Apes, Hulk, Men in Black…) exploreront bientôt le multiangle, le commentaire vidéo en parallèle (des clips contextuels incrustés au film), les tables de (re)montage etc. Aux débuts du millénaire, ces « plus » feront le bonheur des consommateurs de bonus. Dix ans plus tard, ''l’authoring'' en est revenu à des recettes éprouvées, le grand public n’étant plus demandeur…

D’autant qu’il trouve les compléments sur le Net. Le WebDoc est l’aboutissement de cette ouverture.

Gaza-Sderot et Thanatorama sont emblématique de la démarche : le public évolue librement dans une arborescence, à la découverte d’un monde grâce à une série de petits films : des documentaires sur l’industrie de la mort pour l’un, des témoignages pour l’autre. GazaSderot développe une arborescence double : une pour les Palestiniens de Gaza et une pour les Israéliens de Sderot, avec des thèmes communs. Si Thanatorama est au fond un classique film adapté à l’interactivité du Web, l’originalité de GazaSderot était d’être un programme, offrant 2 nouvelles vidéos par jour pendant 2 mois (80 vidéos d’octobre à décembre 2008). Depuis le projet s’est enrichi d’autres vidéo et vit toujours à travers son blog.

Autre exemple caractéristique : Prison valley. Un documentaire de 59 minutes, acheté (pas très cher : 20000€) et diffusé par Arte , est en fait la colonne vertébrale de la version webdoc. Il est complété par des modules accessibles au fil de la lecture mais aussi par d’autres accessibles depuis la chambre de motel qui nous sert de base : indices sur le lit, fenêtre, calepin pour contacter des personnes, TV et sa télécommande, Forums de discussion. A côté de la version Web, une appli iPhone a été développée.

Cette démarche est surtout utilisée pour le documentaire, mais rien n’empêche de l’utiliser à des fins dramatiques. Un court métrage peut parfaitement être découpé en sous éléments accessibles selon une stratégie déterminée par l’auteur et déclinés sur plusieurs supports. C’est ce que l’on appelle le « cross media ».

« Produce once, broadcast many » est la devise d’une entreprise phare du transmédia : Dalet. Cette société franco-israélienne est plus connue des journalistes que des cinéastes. Elle produit des systèmes de gestion de média (montage, mixage, asset management) utilisés par nombre de radio-télévision dans le monde . Le principe est simple : le travail du journaliste peut être très simplement, voire automatiquement, formaté simultanément pour la télévision, un site web, une radio, la presse écrite, les webphones etc.

Sur le plan dramatique, on voit bien le potentiel mais aussi les limitations de la démarche : il y a redondance, le tout contient MOINS que la somme des parties. En transmédia, consommer l’ensemble n’apporte rien de plus.

Avec leurs sections Blog ou Forum, GazaSderot et Prison Valley sont à la limite du transmedia. Toutefois ce dernier comporte bien d’autres dimensions. D’abord, plus que sur une histoire, le transmédia repose sur des univers vivants et évolutifs. Au départ, une histoire diffusée sur le web est conçue pour créer un « buzz » sur les réseaux sociaux : on en parle sur YouTube, Facebook, Myspace, les mobiles, les blogs, les forums etc. Le but est de faire passer ce public de spectateur/consommateur à participant, impliqué jusqu’à créer des événements réels (rassemblements, fêtes, jeux) dont on parlera et qui viendront enrichir le buzz mais aussi le projet lui-même.

Une série policière pourra ainsi voir apparaître, à l’initiative des participants, de nouveaux personnages, des histoires parallèles qui se développeront sur certains média et pas d’autres , des enquêtes à mener dans le monde réel, éventuellement en réalité augmentée.

Le plaisir que l’on trouve à reconnecter les éléments fait que le tout est PLUS satisfaisant que la simple somme des parties !

A cause de la dimension ''buzz'', la démarche a d’abord séduit les publicitaires. Dès 2005 Audi l’utilise pour lancer sa nouvelle A3 : La voiture est volée juste avant le salon de l’auto, une grande campagne sur internet, des blogs, une campagne d’affichage, 7 sites de fans sont créés en quelques jours. 200 000 personnes se mobilisent sur l’enquête en une journée !

Aujourd’hui la Croix Rouge utilise le transmédia pour sensibiliser le public à la reconstruction d’Haïti. Au delà d’un documentaire en trois parties, Inside disaster transporte, grâce à un ARG (Alternate Reality Game), le public dans un Haïti ravagé et lui offre le choix entre être un survivant, un humanitaire ou un journaliste, 3 personnages en fait réels. Chacun peut se déplacer dans la ville, accéder à quantité d’informations, interagir et surtout faire des choix qui auront des conséquences différentes.

Cette démarche est-elle applicable à des projets dramatiques ? La chaîne HBO (Six feet under, les Sopranos) s’y est lancée avec Imagine. Le spectateur navigue dans cette histoire d’enlèvement via une arborescence complexe, choisit des séquences vidéos, des coupures de presse et peut même changer de point de vue : certaines scènes sont tournées sous 4 angles accessibles via les faces d’un cube en flash.

On peut parfaitement séparer un projet, même court, en strates, en points de vues complémentaires, en arborescence plus ou moins touffue, l’enrichir en « réalité augmentée ». Un participant se rendant sur le lieu d’un crime pourra par exemple, via son smartphone utilisé comme caméra, voir apparaitre des indices qui se superposeront à l’image réelle.

La difficulté est d’abord culturelle : le mode d’écriture est radicalement différent du court et du long métrage. L’auteur aura probablement besoin de coopérations, de compétences techniques complémentaires. Courante dans le long métrage, cette ouverture est éloignée de l’approche artisanale, voire solitaire de certains auteurs de court-métrages, secteur pourtant très créatif : à cause de la dimension « réseaux sociaux », un projet transmedia peut échapper à son créateur.

Par contre l’impact auprès du public est beaucoup plus fort, comme la probabilité qu’on en parle dans la presse, les réseaux sociaux.

En France le CNC aide ce type de projet via la Commission aux projets nouveaux media . En 3 ans 180 projets ont reçu un total de 6M€. C’est peu si on compare à l’aide équivalente de l’ONF Canadien, passée de 12 à 100 M$ annuel (mais désormais tout producteur TV canadien doit développer une partie interactive pour obtenir un pré-financement de l’ONF).

L’approche transmedia apporte sans doute plus de ressources créatives et récréatives que le relief sur lequel compte aujourd’hui Hollywood. Pour combien de temps ?

Guy-Louis MIER

Avec l’aimable autorisation de “BREF, la revue du Court Métrage”, Paris.
Auteur: Guy-Louis Mier
Date de publication: 01/11/2011
Dernière révision: 01/11/2011