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Studios suédois

Dossier
Totalement inconnu pour les uns, synonyme de films d’auteurs austères et soporifiques pour les autres, le cinéma suédois souffre aujourd’hui d’un manque de reconnaissance auprès du grand public. C’est oublier un peu vite son glorieux passé. Dans les années 20, la Suède possédait l’industrie cinématographique la plus dynamique d’Europe après l’Allemagne. Dans les années 50 et 60, ses productions faisaient l’admiration des critiques et trustaient les palmarès des festivals les plus prestigieux. Et aujourd’hui, même s’il peine à s’imposer en dehors de ses frontières, le cinéma suédois continue de produire de jeunes talents qui rivalisent de créativité. La longue et riche histoire de ce cinéma, des premières projections des Frères Lumières aux longs métrages de Josef Fares en passant par Greta Garbo et Ingmar Bergman, a été majoritairement écrite par les grands studios suédois dont nous allons parler ici.

Les premiers balbutiements (1896-1913)
La population suédoise découvre, ébahie, les premiers films des Frères Lumière à l’occasion de l’exposition industrielle de Malmö en 1896. Les premières salles ne tardent pas à se construire, mais il faut attendre 1907 pour voir naître une véritable industrie nationale avec la création de la compagnie Svenska Biografteatern (ou Svenska Bio) par Charles Magnusson. D’autres compagnies apparaissent dans la foulée, la principales étant Skandia. En 1909, Svenska Bio produit le premier long-métrage suédois, Värmlänningarne (réalisé par Charles Engdahl), qui obtient un grand succès commercial et lance vraiment l’activité cinématographique dans le pays. Les années suivantes, Magnusson lance la carrière de deux acteurs, Victor Sjöström et Mauritz Stiller, qui ne tardent pas à passer à la réalisation et à écrire quelques unes des pages les plus glorieuses du cinéma suédois.

Les années folles (1913-1924)
La Première Guerre Mondiale et la dépression économique qui s’ensuit provoque la ruine des industries cinématographiques françaises, allemandes et italiennes. Privée de ses principaux concurrents, le cinéma suédois peut désormais contrôler son propre marché et même s’exporter. A ce contexte favorable s’ajoute l’arrivée à maturité de deux immenses talents, Sjöström et Stiller. Grâce à ces deux réalisateurs, Svenska Bio donne au cinéma suédois ses lettres de noblesse en produisant des œuvres comme Terje Vigen (Sjöström, 1916), Tosen fran stormyrtorpet (idem, 1917), ou Herr Arnes pengar (Stiller, 1919). Ces films s’inspirent en général de la littérature nationale ou de la mythologie scandinave (les fameuses « sagas ») et se distinguent par leur utilisation des décors naturels, encore assez rares dans le cinéma européen de l’époque. La critique internationale est unanime pour reconnaître l’élégance et la grande beauté plastique des films de la Svenska Bio. En 1919, celle-ci fusionne avec sa rivale Skandia pour créer la Svensk Filmindustri, un empire cinématographique qui cumule des activités de production, de distribution et d’exploitation en salle. Au début des années 20, la nouvelle « major » suédoise voit ses films triompher partout en Europe. Certains de ses comédiens deviennent des stars comme la jeune Greta Garbo, révélée dans Gösta Berling saga de Mauritz Stiller (1924).

La grande dépression (1924-1942)
A partir de 1924, le cinéma suédois est en quelque sort victime de son succès. Sjöström et Stiller signent des contrats mirobolants avec la MGM et s’expatrient aux Etats-Unis. A ces départs s’ajoute celui de Garbo, que Stiller emmène dans ses bagages. Du jour au lendemain, la SVENSK FILMINDUSTRI se retrouve dépouillée de toutes ses stars et voit sa production chuter en qualité. Dès 1928, Magnusson décide d’abandonner ses fonctions de président de la compagnie.
Le passage au parlant, qui révolutionne toutes les techniques cinématographiques, puis la crise de 1929 se chargent de mettre un peu plus la tête sous l’eau au principal studio suédois. Des sociétés concurrentes voient le jour, comme Europa (fondée en 1930 par Gustav Scheutz) ou Sandrews (fondée en 1938 par Anders Sandrew), mais aucune ne parvient à atteindre le rayonnement que connut la SVENSK FILMINDUSTRI pendant l’immédiat après-guerre. Au cours des années 30, les films suédois se font de plus en plus rares et, du fait de leur piètre qualité, restent cantonnés à leur marché national. La conjoncture difficile n’empêche pas l’apparition de quelques jeunes talents (Alf Sjöberg avec Den starkaste en 1929, ou encore Gustaf Molender), mais ceux-ci ne tournent que rarement, et toujours avec des budgets très restreints. L’actrice Ingrid Bergman, qui fait ses débuts pour SVENSK FILMINDUSTRI en 1935, comprend rapidement qu’elle n’a aucune perspective de carrière dans son pays et s’embarque dès 1940 pour les Etats-Unis, où elle signe un contrat avec le puissant producteur David Selznick. Lorsqu’éclate la Seconde Guerre Mondiale, le cinéma suédois est considéré comme un des plus pauvres d’Europe sur le plan artistique.

Les Trente Glorieuses (1942-1972)
L’heure du renouveau sonne pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le contexte empêche toute importation de films américains, ce qui protège les compagnies nationales. En 1942, Carl Anders Dymling devient président de la SVENSK FILMINDUSTRI et se lance dans une politique de production ambitieuse qui privilégie le cinéma d’auteurs. Ses protégés se nomment Alf Sjöberg, Gustaf Molender et Ingmar Bergman. Ces trois réalisateurs au talent exceptionnel arrivent à maturité à peu près en même temps, au moment même ou la SVENSK FILMINDUSTRI de Dymling est prête à leur donner les moyens de leur ambition. De cette alchimie va naître une vague de films qui redore le blason du cinéma suédois. Citons Himlaspelet (1942) et Hets (1944) de Sjöberg, Rid i natt (1942), Ordet (1943) ou Kvinna utan ansikte (1947) de Molender, et un peu plus tard Sommarnattens leende (1955) et Det sjunde inseglet (1957) de Bergman.
Ingmar Bergman (1918-2007) est certainement le metteur en scène qui incarne le mieux le renouveau du cinéma suédois. Ses films austères analysent avec froideur, et parfois même un brin de cruauté, les abîmes les plus noirs de l’âme humaine. La critique internationale se prosterne devant lui et le couvre de récompenses, dont le Prix Spécial du Jury à Cannes en 1955 pour Sommarnattens leende et l’Ours d’Or à Berlin en 1958 pour Smultronstället, deux films produits par SVENSK FILMINDUSTRI. Autour de Bergman, c’est toute une génération d’acteurs suédois qui se retrouve projetée sur le devant de la scène. Parmi les plus célèbres on peut citer Max Von Sydow, Liv Ullman, Gunnel Lindblom ou encore Erland Josephson.
La dynamique positive se poursuit dans les années 60, grâce à la création en 1963 de l’Institut Suédois du Film, organisme d’Etat qui finance le cinéma d’auteurs par un système de taxe et offre même des primes à la créativité. Cette structure permet à de nombreux cinéastes indépendants d’émerger en marge des grands studios et de donner naissance à un équivalent suédois de la « nouvelle vague ». A l’instar de Godard et Truffaut en France, des metteurs en scène comme Bo Widerberg et Vilgot Sjöman filment en toute liberté, dénoncent le conformisme de la société suédoise et n’hésitent pas à aborder des thèmes tabous : sexualité, délinquance juvénile, etc.

Le cinéma suédois à la croisée des chemins (depuis 1972)
Ce qu’on peut bien considérer comme un « deuxième âge d’or » du cinéma suédois prend fin en 1972. Cette année est marquée par une réforme de l’Institut Suédois du Film, qui réduit drastiquement les primes à la créativité et exige des garanties d’équilibre financier pour tout film qui réclamerait des subventions. Le cinéma d’auteur suédois est lourdement pénalisé par cette nouvelle donne, d’autant que la conjoncture devient difficile : concurrence accrue de la télévision, puis crise économique. Les glorieux anciens quittent la scène (Sjöberg prend sa retraite en 1969, Molander meurt en 1973), les petits nouveaux s’essoufflent (Sjöman s’enlise dans le porno soft, Widerberg tourne sur commande des polars insipides), bref les temps sont durs, même si Bergman, tel l’arbre qui cache la forêt, peut encore donner l’illusion d’une certaine vitalité du cinéma suédois à travers des films comme Höstsonaten (1978) ou Fanny och Alexander (1982), qu’il produit lui-même via sa structure Personafilm (fondée en 1969).
Les grands studios font évidemment grise mine. Dans les années 70, le nombre de films produits par Svensk Filmindustri diminue de moitié par rapport aux années 60. Chez Sandrews, le constat est encore pire : de neuf films produits en 1969, on passe à un seul en 1978 ! Pire, les films produits ne s’exportent plus.
Quelques metteurs en scène obtiennent des succès ponctuels, mais ceux-ci restent souvent sans lendemain. Dans les années 80, Gunnel Lindblom, ancienne actrice révélée par Ingmar Bergman, démontre ses talents de cinéaste en réalisant Sally och friheten (1981) puis Sommarkvällar pa jorden (1987). Lasse Hällström réussit des débuts prometteurs en 1985 avec Mitt liv som hund (produit par Svensk Fimindustri) mais s’expatrie aux Etats-Unis dès 1991. Il y tournera entre autres Chocolat (2000), avec Juliette Binoche. Il faut attendre ensuite la fin des années 90 et le surprenant Fucking Amal de Lukas Moodysson (1998) pour qu’un film suédois fasse parler de lui à l’étranger. En 2000, la Norvégienne Liv Ullmann, qui fut l’actrice fétiche d’Ingmar Bergman, passe à son tour à la réalisation pour Svensk Filmindustri et rencontre un grand succès critique avec Trölosa. La nouvelle génération de cinéastes suédois qui est entrée dans la carrière au début des années 2000 ne manque certes pas de talent, à l’image de Ruben Östlund (De ofrivilliga, 2008) ou du Libanais d’origine Josef Fares (Jalla Jalla, 2000). Les nouvelles technologies numériques qui permettent de réduire le coût de production d’un film semblent créer les conditions favorables à un renouveau du cinéma d’auteur en Suède, comme en atteste le nombre d’œuvres réalisées, en augmentation constante depuis le début du troisième millénaire. La multiplication des collaborations avec les studios d’autres pays scandinaves apparaît également comme une solution efficace au problème chronique de financement du cinéma en Suède. La fusion en 1996 de Sandrews avec le studio danois Metronome en est le symptôme. Ce regain d’activité est-il le signe de l’arrivée d’un « troisième âge d’or » ou un simple feu de paille ? Il est certainement trop tôt pour le dire.

Le cinéma suédois en DVD
Depuis 2000, deux studios suédois éditent des DVD : Sandrews Metronome et Svensk Filmindustri. Ces deux poids lourds proposent également des films en Blu-Ray depuis 2008. Le catalogue de Svensk Filmindustri reste centré sur le cinéma suédois, et propose notamment en DVD les grands classiques de Sjöström (Körkarlen), Stiller (Gösta Berling saga) et Bergman (Det sjunde inseglet, Sommarnattens leende). Celui de Sandrews est plus ouvert à l’international, et fait la part belle aux gros succès du cnéma américain. A l’étranger, difficile de se procurer les chefs-d’œuvre du cinéma suédois ! On trouve quelques titres incontournables chez les Anglais de Tartan (en zone 2) et chez les américains de Kino International et Criterion (en zone 1). En France, on doit se serrer la ceinture : pas de Sjöström ni de Stiller, seul Bergman fait l’objet d’un choix de DVD (zone 2) assez satisfaisant, édités par les indépendants Arkamys (Höstsonaten, Smultronstället) et Opening (Persona, Det sjunde inseglet) et plus récemment par Mk2 (Saraband).

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Date de publication: 18/01/2010
Dernière révision: 18/01/2010