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Le cinéma reprend la main

Dossier
Si le numérique a révolutionné la chaîne de production mais aussi de distribution du film tout en améliorant la qualité finale pour le spectateur, il a paradoxalement mis l’industrie en danger : aujourd’hui le Blu-ray et des écrans ou projecteurs pleine HD abordables permettent d’avoir chez soi une qualité équivalente à ce qu’on peut voir –et entendre- en salle. Pourquoi se déplacer vers une salle ou, en plus, on ne peut pas fumer, boire etc… ? Les ayatollah technophiles ergoteront sur la compression moindre du jpeg2000 utilisé par le cinéma numérique ou son espace couleur plus vaste, mais la réalité perçue est bien là : bien compressé un Blu-ray donne une image superbe, dont les subtilités sont d’ailleurs plus visibles sur un plasma ou un lcd qu’en projection (l’image est vue directement et ne passe pas par une optique dont la FTM (voir note) dégrade les détails fins).

Cette concurrence est l’une des raisons majeures du développement du relief… pour la 2eme fois de l’histoire du cinéma. Comme en 1952 il s’agit de lutter contre la télévision, et pour le moment ça marche : les salles qui programment des films en relief font de meilleures recettes et des "blockbusters" en 3D arrivent en cascade pour la fin d’année, à commencer par le très attendu Avatar de Cameron.

Seulement voilà, cet avantage des salles sur la TV ou le cinéma maison risque de ne pas durer bien longtemps : les premiers téléviseurs 3D sont sur le marché, le relief perce dans les jeux, l’exclusivité « grandes salles » a déjà disparu.

L’autre réplique possible est le grand format, déjà expérimenté dès la crise des années trente (The Big Trail, Walsh, 1929, The Bat Whispers, West, 1930). 25 ans plus tard une nouvelle crise vit renaître les films 70mm (et le relief). Les premières caméras 65mm utilisaient d’ailleurs les caméras anciennes. Le 70mm, c’est une image plus précise, plus grande, plus stable.
A l’ère du numérique, le grand format, c’est le 4k.

Une solution utopique ? On tourne bien quelques films avec des caméras 4K (Le che, Soderbergh, tourné avec une Red One) mais ils sont exploités en 35mm. A l’heure où bien des artisans n’ont toujours pas fait le saut du numérique 2k, le 4k n’est a priori pas pour demain !
Sauf que Sony vient de passer un contrat avec Regal et AMC, le premier et le troisième distributeur américain, pour la fourniture de 11000 (oui, onze mille) projecteurs 4K SXRD. 800 sont déjà livrés.

Dans le même temps Texas Instrument, qui fournit en puces DLP toutes les salles 2k à travers Barco, Christie et Nec, lance enfin la production de puces DLP 4K. Fort de cette technologie, Barco vient de décrocher le marché Cinemark, le deuxième plus grand exploitant de l'industrie cinématographique mondiale. Là encore on raisonne en milliers d’écrans 4k.

En bref, cela veut dire que le cinéma numérique américain –donc plausiblement mondial- vient de basculer massivement vers le 4k, bien plus vite que prévu. Au grand dam de ceux qui viennent de passer au 2k après beaucoup d’hésitations. Les autres se disent qu’ils ont bien fait d’attendre.

Est-ce prématuré ?
Après tout même ceux qui tournent en 4k ne disposent pas de moniteurs 4k pour monter leurs films ! Panasonic vient seulement de présenter une dalle 4k au salon japonais Ceatek.

Pourtant, le 4K est l’autre format de la HD, prévu dès l’origine par la DCI. Ses caractéristiques sont identiques au 2k : compression JPEG2000, espace chroma CIE XYZ 12 bits RGBA 4444), gamma 2,6. Seule la taille du conteneur image diffère : 4096x2160 pixels contre 2048x1080 en 2k. Autre différence mineure : la vitesse. Seul le 24 im.sec est recommandé (24 et 48im.sec en 2k).

Ces recommandations, devenues normes dans certains pays, ne concernent que la projection : format et codecs sont libres au tournage ou en post-production. On numérisait déjà en 4k (4096x3112) et plus pour les trucages et les restaurations. Citons Blanche Neige et les Sept Nains , magnifiquement restauré en 4K chez Disney, ou la VistaVision de The Searchers (Ford) restaurée en 6K par Warner, voire les 8k utilisés pour rendre justice au 70mm du Baraka de Fricke.

La première post-production 4k intégrale (tournage en 35mm, scan 4K du négatif et post-prod numérique) remonte à 2004 avec Spiderman 2. Le film à sketches Paris je t’aime suivit en France en 2005. Le vrai démarrage n’est venu qu’en 2008 avec une vingtaine de films aux USA

Le tournage 4k est une aventure que l’on peut identifier à plusieurs matériels
Il y eut d’abord la caméra Dalsa Origin : démonstration d’un 4k techniquement possible, au prix d’une caméra lourde et encombrante reliée par fibre optique à une armoire de disques durs.
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Vint la Red One : le 4k opérationnel, léger, pas cher : une révolution même si elle a ses détracteurs.
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Avec la Phantom65 le grand format renaît : son capteur a la taille du 65/70mm.
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D’autres caméras sont annoncées comme la japonaise JVC KY-4000 et la Russe KINOR - DC4K
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L’Arri D21 a un capteur au format S35, comme ses consoeurs, mais sa résolution est plus faible (2880 pixels en largeur en mode raw contre >4000 pour les autres. Une sur-résolution modérée, qui se défend.
En effet, Arri a démontré que la post-production 4k à partir d’un scan de film 35mm n’atteint même pas cette qualité (résolution maximale 57 cycles.mm soit moins de 2,6K). Pourquoi alors s’imposer les difficultés techniques et le coût d’énormes débits ? 2880 pixels suffisent effectivement.

Est-ce superflu ?
En fait 2048 pixels suffisent, et même 1920. Le 2K n’a pu se développer et être accepté que s’il offrait une qualité au moins égale à l’argentique. Sa qualité est objectivement suffisante.

Alors qu’apporte le 4K ?

Beaucoup de détails… invisibles !
Si vous regardez un tableau ou une mire de 1,2m de large à 1m de distance, les détails correspondant à 4k sont invisibles ! Particulièrement s’ils sont contrastés comme dans la vraie vie et pas hypercontrastés comme avec les mires rétroéclairées.

Quel intérêt alors ?
En fait ce n’est pas vraiment la quantité de détails qui compte mais le contraste avec lequel ils sont rendus. Comparons des FTM emblématiques du 2k (caméra Sony F800 + Zeiss Digizoom) et du 4K (Red One + Cooke S4).



La Sony garde un contraste de 20% sur les détails les plus fins, ce qui est très bon. La Red reproduit des détails beaucoup plus fins, mais on ne peut les voir qu’en projection 4k. Encore faut-il être près de l’écran : en milieu de salle on ne les voit pas. C’est pourquoi Cinemark a décidé d’équiper d’abord ses plus grandes salles (voir note 2) , où il y a plus de monde près de l’écran (configuration type Imax).
L’avantage est ailleurs : à la résolution limite du 2k, dont on a vu qu’elle est suffisante, le contraste des détails est de 20% dans le meilleur des cas ; mais si on passe par une chaîne 4k ils sont restitués avec un contraste supérieur à 50% ! Cela parce que pour atteindre un contraste utilisable à 4k, il FAUT avoir un très haut contraste à 2k.
Même réduite en 2k, toute l’image garde alors un contraste supérieur à 50%. Cela signifie une plus grande transparence, une plus grande franchise dans les détails et surtout un meilleur rendu des textures, bref une image plus riche. La même différence en fait qu’entre le 35 et le 70mm.

Avec le 4k, la salle de cinéma retrouve un avantage qualitatif sur le home cinema. Un avantage qui sera éclatant lorsque les productions en 4k seront monnaie courante. Entretemps même les productions actuelles peuvent en tirer profit. Une projection 4k d’un film tourné en 2k n’inventera pas les détails qu’une capture 2k n’a pas saisit, ni n’augmentera le contraste de ses détails fins, mais elle limite l’"aliasing" et permet une plus grande taille d’écran, comme l’upscale d’un DVD lu par une bonne platine Blu-ray...

En face, la TV 4K à la maison n’est pas pour demain. Moins pour des raisons de prix des écrans qu’à cause de la bande passante nécessaire, qui limite le nombre de canaux diffusables. L’avantage durera donc plus longtemps que pour le relief. Le 4k permet d’ailleurs de stocker facilement côte à côte ou superposées dans le même cadre 2 images d’une plus haute résolution que la HD, permettant des projections en relief plus fines.

Qui l’aurait cru ? Même en HD, la TV redevient le « petit écran »…


Note 1: la fonction de Transfert de Modulation (FTM) est la courbe qui traduit le contraste décroissant avec lequel sont rendus des détails de plus en plus fins.

Note 2: le projecteur Christie 4K CP4230 couvre des écrans de 30m de base avec 30000 lumen. Barco, choisi par Cinemark, a un matériel équivalent.

Auteur: Guy-Louis Mier
Date de publication: 09/11/2009
Dernière révision: 09/11/2009