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How the West Was Won, de la restauration à l’achèvement

Dossier
Est-il légitime de modifier un film en le restaurant ? Plus que par respect pour le patrimoine, la restauration numérique a été développée pour le plus grand profit d’une télévision et d’une édition DVD toujours plus en quête de programmes. Il est caractéristique que sa première manifestation visible par le grand public ait été la colorisation de séries populaires (Zorro, Ma sorcière bien aimée) ou de films (La nuit des morts vivants ou, en France, Fanfan la tulipe ou La vache et le prisonnier par exemple). Développé dès 1970 par Brian Hunt et Wilson Markle pour colorier les images de la lune ramenées par les missions Apollo (un univers pourtant essentiellement noir et blanc !), le procédé sévit toujours. Legend films a colorisé une centaine de films entre 2003 et 2007. Si la technique a fait d’incontestables progrès, il reste tout de même le problème de sa légitimité : Ted Turner a voulu coloriser Citizen Kane !
La question de « l’amélioration » se pose aussi pour des interventions plus discrètes : la restauration du Magicien d’Oz par Warner est magnifique mais fallait-il enlever les fils qui soutiennent les singes volants comme on le fait aujourd’hui pour les cascadeurs d’un film de kung fu ? A ce train la, pourquoi ne pas refaire les trucages de King Kong ?
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Alors, pas touche aux grands classiques ? Protectionisme tentant, mais dans le cas de La conquête de l’Ouest, ç’aurait été dommage. La restauration entreprise par Warner pour la sortie en Blu-ray de ce western mythique –le seul en Cinerama- est en effet plus qu’une renaissance : grâce au numérique, l’image d’aujourd’hui est plus proche de l’effet que les promoteurs du Cinerama espéraient que ce qu’ils ont pu obtenir avec leur technique à l’époque.


Le film
Réalisé par John Ford, Richard Thorpe et Henry Hatthaway, le film conte la colonisation de l’ouest américain (dans l’esprit du « Go west » de Twain), dans la 2eme partie du XIXeme siècle, à travers l’histoire de 2 sœurs et des hommes de leurs vies : fermier, trappeur, soldat, joueur, tycoon du chemin de fer et sheriff. Pour ce western mythique –voire mythifiant, on est en pleine guerre froide et il s’agit de chanter les valeurs américaines de liberté et de libre entreprise- la MGM choisit un procédé spectaculaire… qui tomba en désuétude aussitôt après : How the West was won est le 2eme et dernier film de fiction utilisant le Cinerama.
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Si vous avez moins de 40 ans, il y a peu de chance que vous ayez vu du Cinerama, le vrai, à triple écran.
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En France par exemple il faut remonter à 1971, quand l'Empire montra sur son écran géant "This is Cinerama", How the West Was Won » et “The Wonderful World of The Brothers Grimm” en un flamboyant chant du cygne, avant que la salle devienne l’antre de Jacques Martin et de la SFP. Depuis, on n’a pu voir les 2 derniers films qu’à la télévision, dans des reports 35mm calamiteux. Il existe une sallecapable de passer du Cinerama à la cité du cinéma de Bradford (UK), une à Seattle restaurée par Bill Allen, le n°2 de Microsoft, et une autre à Los Angeles. Les passages rarissimes de How The West Was Won y draînent les foules.


L’anti télé
Passer du cinérama sur un écran de TV est un contre sens absolu : le procédé a été créé pour lutter contre le « petit écran » ! Au début des années 50, la fréquentation des cinémas américains s’effondre : pourquoi payer pour un spectacle quand on peut l’avoir gratuitement chez soi ?
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Les studios répliquent d’abord par le relief –déjà-, mais Fred Waller décide de prendre le contre-pied absolu de la TV : elle est en noir et blanc, monophonique, on l’appelle le « petit écran », il répond couleur, stéréophonie à 7 pistes et écran géant. Géant pas seulement par la taille : on connaissait déjà des écrans géants, dans les drive-in par exemple. Ici il s’agit de reproduire un champ très large, aussi large que la vue des spectateurs.


Un procédé fou, fou, fou
Fred Waller reprend l’idée du polyptique qu’Abel Gance inventa pour son Napoléon (1927) : la scène était filmée par trois caméras et trois projecteurs alignaient les images côte à côte. Chez Gance la vue panoramique n’était qu’une des possibilités, utilisée dans la séquence sur la campagne d’Italie par exemple. Le plus souvent les images latérales du triptyque soutenaient l’image centrale plus qu’elles ne la complétaient, avec des images symboliques, souvent symétriques. Waler invente le procédé immersif : il s’agit de plonger le spectateur au cœur de l’action. Ce n’est pas une figure de style : les meilleures places sont au point focal d’un écran très recourbé : 146° de champ latéral, 55° en hauteur.
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Tout est nouveau : la caméra est triple : l’objectif de gauche filme à droite, celui de droite filme à gauche, pour compléter la caméra centrale. Chaque champ fait 55° en hauteur pour 50 en largeur mais les images latérales chevauchent la centrale de 2° chacune, ce qui donne au final 146°, presque la largeur du champ visuel. Un champ énorme, sur le tournage de How The West Was Won (HTWWW) John Ford ne s’y est jamais fait : il avait l’habitude de se poster contre la caméra pour diriger les acteurs et on a dû retourner quantité de plans où son ventre apparaissait en bord cadre !
Les 3 pellicules 35mm sont impressionnées par 3 objectifs fixes de 27mm soigneusement apairés et fabriqués spécialement par Kodak. Pour augmenter la surface du négatif, chaque image utilise tout l’espace entre les perfos et a une hauteur de 6 perfos au lieu de 4.
Compte tenu du recouvrement, les 3 images équivalent à un positif de 73 x 28mm, plus large que l’actuel Imax. Il faut bien cela pour garder la netteté sur un tel champ. Alors qu’à l’époque le son est optique et monophonique , il est ici enregistré sur une bande magnétique 35mm séparée comportant 7 pistes. Il est capté ainsi sur le terrain, malgré les difficultés pratiques : il ne s’agit pas de sons monophoniques repositionnés au mixage comme généralement aujourd’hui. L’impact dans des scènes comme l’attaque du train est fabuleux de réalisme. Pour diminuer la stroboscopie les premiers films sont tournés à 26 images seconde mais, pour pouvoir exploiter des réductions sur 35mm, on reviendra à 24 im/sec.


La révolution de l’écran large
1952 : l’impact du Cinérama est spectaculaire et le succès immédiat, énorme. Problème : le procédé est effroyablement cher à la production et surtout à l’exploitation puisqu’il réclame des salles spéciales, un écran géant courbe, trois cabines de projection, un pupitre de commande dans la salle, du matériel non standard. Seules 304 salles Cinerama seront construites dans le monde dont huit en France, plus une salle itinérante patronnée par Europe1… et aucun film français, à part une publicité pour la Dauphine Renault.
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1953 : la Fox (Cinerama est lié à la MGM), persuadée que l’écran large et la stéréophonie ramèneront bien les spectateurs dans les salles, lance un Cinerama du pauvre, beaucoup moins spectaculaire et moins fin (le négatif est 6 fois plus petit) mais économique et qui s’implante massivement : le Cinemascope !


Pourquoi faire simple…
Outre le prix de revient, le Cinerama présente de grosses difficultés techniques : les pellicules doivent être exposées et développées rigoureusement de la même façon, les optiques doivent donner des images étales sans assombrissement sur les bords pour pouvoir raccorder et doivent déformer aussi peu que possible et de la même manière. Même problème à la projection : les images doivent avoir la même luminosité (avec les projecteurs à arc de l’époque ce n’était pas facile), être synchrones, fusionner de manière invisible. En fait on n’y est jamais arrivé. On a beau cacher les séparations en y plaçant judicieusement des éléments de décor, des arbres etc, ce qui oblige à une composition ternaire de l’image, elles restent souvent perceptibles. Curieusement, ce n’est pas vraiment gênant quand on est enveloppé dans cette image géante, emporté dans l’action, alors que c’est difficilement supportable sur les reports 35mm à travers lesquels le public connaît le Cinerama aujourd’hui.


Un procédé incompatible
Encore pire, l’écran courbe –qui devrait être un paravent de 3 écrans plats- est la juxtaposition de 3 perspectives différentes. Un pont vu de face, comme le Golden Gate à la fin de La conquête, est une ligne horizontale sur l’écran central, une ligne fuyante s’éloignant vers la gauche sur l’écran gauche et une fuyante vers la droite pour l’écran droit. Cela marche très bien quand l’alignement est rétabli par le repli des écrans latéraux.
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Si l’on aplatit les 3 images sur une seule pellicule, le tablier rectiligne devient une figure brisée avec une montée qui avance vers nous, une section plate et une descente qui s’éloigne.
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Pire : pendant le travelling vers l’embarcadère au début, une banderolle et son ombre changent brusquement de direction quand elles atteignent les transitions et l’effet absurde se propage quand on se rapproche.
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A plat, des personnages qui se font normalement face sur les panneaux gauche et droit recourbés semblent regarder le vide ou la salle. En bref, le Cinerama ne supporte que la présentation en Cinerama. Le problème est resté insoluble jusqu’à l’arrivée du numérique.


La solution numérique
L’intérêt de l’étalonnage numérique est évident pour les besoins, patents ici, d’égalisation photométrique et colorimétrique entre les panneaux, les retouches locales, la stabilisation, toutes techniques de correction parfaitement maîtrisées aujourd’hui, mais cela ne règle pas le problème de la triple perspective. Le coup de génie de Warner est d’avoir recouru aux techniques de "stitching" couramment utilisées en photo numérique pour faire des panoramiques à partir de plusieurs photos.
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Le film avait déjà connu des sorties en VHS ( ! ), en videodisque, en DVD, toutes issues du report 35mm des années 60. L’avènement du Blu-ray réclamait autre chose. Une nouvelle édition est décidée par Warner, propriétaire des droits MGM pour les films de cette époque. La restauration, confiée à Motion Picture Imaging (MPI), son unité de postproduction située à Burbanks, est supervisée par Bill Baggelaar.
Les 3 bandes sont scannées en résolution 2K. Les fichiers –plus de 10 teraoctes- sont confiés au labo numérique du groupe indien Prasad à Bangalore, dans la Silicon valley indienne, qui doit les fondre en une seule image.
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Il a fallu développer des logiciels spéciaux car les logiciels courants de "stitching" ont besoin d’un recouvrement de 10% pour calculer les déformations, or ici il n’est que de 2%. Par contre, tous les plans étant filmés avec les mêmes objectifs, il suffit d’un seul algorithme. Au final les 3 perspectives deviennent une unique perspective cylindrique, les lignes horizontales ne se brisent plus mais se courbent et se raccordent en une image unique de résolution 6K.
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L’auteur de ces lignes avait proposé une démarche similaire à Imax en 2003, mais en utilisant une perspective sphérique avec un décentrage conforme à l’horizon décalé de l’Omnimax. On aurait alors retrouvé l’écran courbe du Cinerama sur l’écran sphérique de l’Omnimax avec une perspective parfaite.
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Dans la version Warner, l’image est unifiée mais la mise à plat déforme la perspective : dans un plan latéral les personnages semblent se déplacer sur un disque plutôt que sur une route droite. C’est inhérent au principe du panorama mis à plat.
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L’unification de la perspective ne résoud pas tous les problèmes de jonction : les 3 objectifs Cinerama ne sont pas confondus, ils se croisent. Pour les plans d’ensemble cela ne pose pas de problème mais, pour les plans rapprochés, les différences de perspectives font apparaître différemment des détails entre 2 objectifs et provoquent desdédoublements aux transitions. De même une différence de mise au point entre les panneaux interfère avec les raccords. Ces défauts ont dû être traités par des retouches locales à la palette graphique.
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Malgré tout le soin apporté aux éléments ayant servi au scannage, des différences de densité et de couleurs restaient visibles. Les cieux unis par exemple sont un révélateur impitoyable du vignetage .



Le coloriste Ray Grabowski a réussi à égaliser tout cela zone par zone, plan par plan, avec une console d’étalonnage FilmLight Baselight Eight 4K. Le résultat n’est pas absolument parfait, on devine encore des zones un peu plus denses sur certains plans mais cela n’a rien de gênant. Les quelques séquences d’action tournées en Ultrapanavision (du 70mm avec une anamorphose 1,25:1) pour des raisons de trop grande lourdeur de la caméra Cinerama ne présentent évidemment pas ces différences, puisqu’il n’y avait qu’un objectif de prise de vue. Elles sont reconnaissables à la différence de perspective (leur champ est beaucoup plus étroit) et aussi à la différence de granulation due à une surface de négatif inférieure. Pour la restauration ces éléments ont été scannés à partir de reports en Vistavision.



Dans le même temps, le son 7 pistes magnétique a été nettoyé du bruit de fond et remixé en 5.1. Les copies Blu-ray bénéficient de pistes True-HD non compressées.
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Au final le processus de restauration aboutit à un master 4K, réduit en 2K dans la version disque. La sur-résolution d’origine donne un Blu-ray d’une finesse impressionnante malgré les 46 ans du film.
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Toutefois, si l’image fait 1920 pixels de large, elle ne fait que 666 pixels de haut, soit un rapport largeur/hauteur de 2,89 (le scope fait 2,40).
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Le rapport d’écran du Cinerama est un sujet complexe. Un spectateur idéalement placé, au point de convergence des 3 volets, voit une image rectangulaire de 146/55° soit un rapport 2,65. La restauration Warner a un rapport plus large (2,89) parce que le "stitching", l’assemblage et la courburedes images, agrandit légèrement les côtés, qui deviennent légèrement plus hauts que le centre, ce qui oblige à tailler dans la hauteur pour garder une image rectangulaire. Cette image a une perspective cylindrique : les verticales sont droites, les horizontales non centrées sont courbes.



Mais un spectateur placé en fond de salle est plus près des bords que du centre, ce qui donne l’image en diabolo qui symbolise l’écran large depuis 1952… alors que cela fait belle lurette que le scope est projeté sur écran plat !
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Cette image avait donné l’idée à David Strohmaier, un passionné de Cinerama, de simuler cette vision pour son documentaire The Cinerama adventure (2003, présenté en supplément) en déformant l’image du triptyque avec un Inferno. L’idée a été reprise par Warner qui propose sur un 2eme Blu-ray une version en "Smilebox" du film.



Cette fois on est parti du fichier 6K, déformé en utilisant une modélisation 3D : l’écran en image de synthèse est courbé et vu par une caméra virtuelle, éloignée comme le serait un spectateur en fond de salle. L’effet est surprenant et simule bien ce que voyait un spectateur… mal placé. Toutefois l’image 16/9 du Blu-ray est mieux utilisée, plus présente que dans la version 2,89. Vu de près sur un grand écran, l’effet est assez convaincant.

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Avant : copie 35mm (image recadrée sur les cotés, limites visibles, faible définition, son 4 pistes dans le meilleur cas. C’est ce qu’on voyait à la télévision et en DVD)


Après : copie Blu-ray



En conclusion...
Est-ce la seule solution pour rendre le côté immersif du procédé ? Pour le Blu-ray oui. Toutefois ou pourrait retrouver le véritable écran panoramique en salle.Une copie 70mm ou une copie numérique du fichier 4K non déformé en Smiley mais projetée selon le procédé D150 (Patton, The Bible) rendrait pleinement justice au travail de Warner… et à l’intention des inventeurs du Cinerama, enfin débarrassé de ses artefacts.
Le Dimension150, du 70mm filmé au très grand angle, permettait avec un objectif de projection spécial de couvrir un écran courbe sans déformation ni perte de netteté depuis le fond de salle (autrement il faudrait être au centre courbure, ce qui ne laisse pas de place aux spectateurs ; le problème ne se posait pas au Cinerama puisque l’image était formée par 3 projecteurs dont les faisceaux se croisaient au dessus de la tête des spectateurs : ils pouvaient être très loin de l’écran).
Il n’existe pas de projecteur numérique 6k mais le master 4k rendrait sans doute justice au film, compte tenu de la résolution réelle des pellicules et des optiques d’il y a bientôt 50 ans.
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Paradoxalement, c’est donc la video –dans son avatar HD- qui a donné à un procédé qui se voulait « TV killer » le niveau de perfection dont rêvaient ses concepteurs, niveau que les techniques de l’époque ne permettaient pas d’atteindre !



Auteur: Guy-Louis Mier
Date de publication: 24/03/2009
Dernière révision: 24/03/2009