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Rank Organisation

Dossier
Il est des compagnies qui résument à elles seules tout un pan de l’histoire cinématographique de leur pays. Il en est ainsi de UFA en Allemagne, Gaumont en France et donc Rank en Grande-Bretagne. L’évolution de l’empire d’Arthur Rank semble en permanence se confondre avec celle du cinéma britannique tout entier ; on y retrouve les mêmes thèmes, les mêmes aléas, et surtout la même problématique récurrente : comment, dans un pays anglophone, peut-on développer un grand studio sans être écrasé par la concurrence des films américains ? Arthur Rank, comme tant d’autres, s’est cassé les dents sur cette difficulté majeure, non sans avoir permis au cinéma de son pays d’accoucher de quelques uns de ses plus beaux joyaux.


Les activités d’Arthur Rank avant la naissance de Rank Organisation (1934-1937)
Né en 1888 dans une très riche famille du Yorkshire, Arthur Rank est avant tout un homme d’affaires avisé qui a fait fortune dans le cinéma sans jamais avoir la moindre idée de la façon dont on réalise un film. C’est à 46 ans, en 1934, qu’il investit pour la première fois dans la production d’une œuvre cinématographique, The Mastership de Avelin Givener. Impressionné par la rentabilité de l’entreprise, il décide de poursuivre dans cette branche. En 1935, il fait bâtir les studios de Pinewood, dans la banlieue de Londres, qui deviendront légendaires en accueillant de nombreuses superproductions britanniques, dont la série des James Bond. La même année il crée son propre circuit de distribution, General Film Distributors, qu’il ne tarde pas à agrandir avec l’acquisition de Gaumont British (la filiale anglaise du français Gaumont) en 1936. En 1937, Arthur Rank décide de rassembler toutes ses activités cinématographiques dans une seule entreprise, Rank Organisation, et adopte comme symbole la fameuse silhouette de « l’homme au gong ». C’est le son d’un gong, frappé par le percussionniste James Blades, qui ouvrira tous les génériques des films produits par la compagnie.


L’âge d’or (1937-1948)
Pendant environ une décennie, Rank enchaîne les succès et règne sur le cinéma britannique. Ces succès sont la plupart du temps le fait de collaborations avec de petits studios indépendants comme Independent Producers Ltd, The Archers (la société de Michael Powell et Emeric Pressburger) ou London Film Productions. Comme nous l’avons dit dans le paragraphe précédent, Arthur Rank lui-même ne connaît rien au cinéma. Sa société se contente de coproduire et de distribuer des projets élaborés par d’authentiques producteurs comme Alexander Korda, Michael Powell ou Basil Dearden. Ces précieuses collaboration permettent à la firme au gong de voir son nom associé à des films aussi prestigieux que Henry V (Laurence Olivier, 1944), Brief Encounter (David Lean, 1945), A Matter Of Life And Death (Michael Powell & Emeric Pressburger, 1946), Odd Man Out (Carol Reed, 1947)… A la même époque, Rank Organisation lance aussi la carrière de quelques fameux acteurs britanniques comme Petula Clark ou Christopher Lee.
Si en Angleterre Rank écrase la concurrence, la firme au gong doit cependant composer avec d’encombrants rivaux étrangers : les studios hollywoodiens. Les Etats-Unis produisent énormément de films, souvent de bonne qualité, et peuvent les commercialiser directement au Royaume-Uni sans passer par l’étape, souvent fastidieuse, du doublage. En 1947, la solution à ce problème tombe littéralement du ciel : pour protéger son industrie nationale, le gouvernement britannique annonce la mise en place d’une taxe spéciale sur les films américains. Hollywood réplique par un embargo, ce qui signifie la fin de l’importation des films américains en Grande-Bretagne. Désormais sans rival, Arthur Rank rêve de grandeur et décide que son entreprise produira oust ses films de A à Z pour devenir l’équivalent européen d’une « major ». Les années 1947-1948 marquent en effet l’apogée Rank avec la sortie de chefs-d’œuvre comme Black Narcissus (Powell et Pressburger, 1947), The Red Shoes (Powell et Pressburger, 1948) et Hamlet (Laurence Olivier, 1948). Mais dès 1948, le rêve prend fin : le gouvernement annule sa taxe, Hollywood lève l’embargo, les films américains déboulent à nouveau sur les écrans britanniques et Rank doit revoir ses ambitions à la baisse.


Un lent déclin (1948-1980)
Menacée d’étouffement par la concurrence des majors américaines, Rank révise sa stratégie. La compagnie diminue sa production et se concentre sur des films commercialement rentables, qu’elle coproduit le plus souvent avec d’autres grands studios pour partager les risques. Parmi ses derniers gros succès on peut citer : The Ladykillers (Alexander MacKendrick, 1955), The 39 Steps (remake du classique d’Hitchcock, réalisé en 1959 par Ralph Thomas), El Cid (Anthony Mann, 1961), The Ipcress File (Sydney J. Furie, 1965), La Grande Vadrouille (Gérard Oury, 1966)… A côté des films de fiction Rank produit aussi des documentaires sur des sujets de fierté nationale comme les Jeux Olympiques de Londres en 1948 ou le couronnement de la reine Elizabeth II en 1953. Enfin Rank assure sa survie en exploitant deux filons très rentables : la série des Look at life, courts-métrages sur la vie quotidienne en Grande-Bretagne diffusés dans les salles de cinéma avant le programme principal de 1959 à 1969, et la série des Carry On, comédies à petit budget réalisées par Gerald Thomas (en gros un film par an de 1966 à 1978).
Par ailleurs Rank diversifie ses activités en investissant dans la radio (Rank Bush Murphy Group), la télévision (Southern Television), les disques (Rank Records) et même les photocopieuses (Rank Xerox). Peu à peu, Rank Organisation se transforme en un gigantesque conglomérat dont le cinéma ne représente plus qu’une part marginale des activités. Arthur Rank lui-même prend sa retraite dès 1962, et décède dix ans plus tard. Pour ses successeurs il est clair que la production cinématographique n’est plus une priorité. The Rank Organisation finit par arrêter toute activité dans ce domaine en 1980. Pour l’anecdote, on trouve parmi les dernières productions Rank le méconnu Soldaat van Oranje (1977), un des tous premiers films du grand cinéaste hollandais Paul Verhoven.


Rank aujourd’hui
L’entreprise de feu Arthur Rank (ainsi que son fameux logo, l’homme au gong) existe toujours mais elle n’a plus grand-chose à voir avec le flamboyant studio qui produisit les plus grands chefs-d’œuvre du cinéma britannique des années 40. Depuis 1996, Rank Organisation est devenue le Rank Group et a réorienté son activité vers les jeux d’argent. Parmi les multiples branches de la firme on trouve des chaînes de casinos (Grosvernor Casinos), des salles de jeux (Top Rank España), des sites de paris en ligne (Blue Square Bet) ou des loteries (Mecca Bingo), en tout cas plus rien qui ait un rapport de près ou de loin avec le cinéma. Aujourd’hui son glorieux passé est en grande partie tombé dans l’oubli, en tout cas en dehors des frontières du Royaume-Uni. Si quelques titres du catalogue Rank sont devenus des classiques et si l’image de l’homme au gong évoque encore vaguement quelque chose pour l’ancienne génération, le grand public a beaucoup de mal à faire l’association entre les deux. Il n’en reste pas moins qu’aucun autre studio n’a réussi à atteindre la puissance et le prestige de Rank dans toute l’histoire du cinéma britannique. En 2004, un documentaire réalisé par Tom Gutteridge a retracé l’histoire de cette firme légendaire : il s’intitule Golden Gong : The British Cinema Collection.


Rank en DVD
The Rank Organisation a arrêté la production en 1980 mais maintient des activités liées au monde du cinéma jusqu’à sa fusion dans le Rank Group en 1996. Elle se lance notamment dans l’aventure du DVD dès 2000, via sa filiale Deluxe qui rachète les usines de pressage de Pioneer aux Etats-Unis. Au fil des rachats de concurrents Deluxe s’impose comme un des leaders mondiaux de la fabrication de DVD dans les années 2000, avant d’être revendu par Rank à une holding américaine en 2006.
Si on s’intéresse maintenant à l’édition, la plupart des “classiques” de Rank (The Red Shoes, Black Narcissus…) sont disponibles en Zone 1 chez l’Américain Criterion. En Zone 2 il faut se tourner vers les Américains de Warner Home Video ou les Français de Studiocanal. En Grande-Bretagne, c’est Carlton International qui distribue aujourd’hui l’essentiel du catalogue de Rank en DVD. Pour les fans de la grande période de Rank, c’est-à-dire les années 30-40, il existe en Anglais et en Zone 2 un magnifique coffret 8 DVD intitulé The Rank 70th Anniversary Collection (sorti en 2005 chez ITV DVD) où on retrouve tous les titres les plus prestigieux, de The 39 Steps à Hamlet en passant par Henry V, A Matter of Life and Death, etc.


Auteur: Sébastien Bouché
Date de publication: 11/03/2009
Dernière révision: 11/03/2009