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Film et numérique : convergences et différences

Dossier

Film et numérique : convergences et différences
Une part croissante des films que nous voyons sur grand écran –nous ne parlons pas ici de TV ou de DVD- est issu d’une filière numérique. La qualité de l’image numérique est rapidement apparue « suffisante », surtout avec la HD, les filières de montage, d’étalonnage numérique et de report sur film sont rôdées. La plupart du temps le critère de choix est économique. Toutefois opter pour le tournage numérique a des implications esthétiques qui se sentent même en DVD. Les fondements en sont souvent méconnus et leur portée varie selon le format de tournage choisi.
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Passons rapidement sur l’épisode « mini DV » : depuis le Festen de Thomas VINTERBERG (1998) la démarche « petite caméras numériques » est souvent assimilée au mouvement « Dogma » et à ses règles de tournage (de manière abusive : Dogma préconise en effet le format 35mm). Dès leur apparition les petites caméras ont été utilisées comme le dernier avatar de la « caméra stylo » ; légèreté, discrétion, instantanéité de la mise en œuvre, économie définissent à elles seules un programme. La qualité technique semble alors à beaucoup secondaire, certains affirment même que l’image de ces caméras « doit » être bruité, pas très nette, instable, autant de signes d’une spontanéité qui caractériserait une « esthétique DV ». Le film 8mm avait en son temps induit la même démarche. Toutefois, si le 8mm est de toute évidence très limité par rapport au 16 et au 35mm, il n’y a aucune justification technique à cet a priori pour le DV : on peut très bien, avec une petite DV tri CCD, faire des images aussi léchées et définies qu’avec une gros « béta numérique » 20 fois plus chère, il y faut seulement plus de compétences.
Par contre la résolution SD reste très inférieure à celle du 35mm.
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Reste qu’avec le développement de la HD (pour la TV et le DVD) et de son pendant cinéma (le Dcinema), le fossé qui séparait les qualités TV et cinéma semble se combler. Les ayatollah de la technique hurleront qu’il y a un monde entre la HD et le Dcinema, sensé être plus proche du film, principalement sur l’espace colorimétrique. L’expérience pratique tend à devoir sérieusement minorer ces différences, imperceptibles à l’immense majorité du public, et même aux professionnels quand le processus de fabrication est bien maîtrisé.
Est-ce à dire que, sur nos lecteurs Blu-ray ou HD-DVD, nous ne verrons plus la différence entre film et vidéo ?
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Comparer des images est difficile, particulièrement quand elles proviennent de filières différentes. Les critères les plus discriminants sont :
- La résolution (capacité à restituer des détails fins)
- La profondeur de champ (capacité à représenter l’espace en profondeur avec, dans le même cadre, des plans nets et des plans flous)
- La dynamique (capacité à restituer des détails dans un écart d’illumination plus ou moins important).

Sur le plan dynamique, la pellicule garde une supériorité sur les caméras numériques courantes. C’est à la fois une affaire d’écart entre ce qui sera retranscrit comme noir et comme blanc, et de manière dont on va atteindre ces limites. La pellicule opère une compression dans les basses et hautes lumières (les écarts ne sont pas reproduits fidèlement, de manière linéaire) alors que la transcription numérique sature brutalement quand la limite est atteinte. Dans la partie surexposée d’une image numérique, il n’y a plus rien. Sur sa gamme CineAlta, Sony a largement atténué le problème avec ses « hyper gammas » (une invention de Sony France), des courbes de transfert qui émulent le comportement de la pellicule et étendent la réponse dans les hautes lumières en compressant les niveaux élevés pour les faire tenir dans le signal sans saturer. Ces raffinements ne sont pas accessibles aux caméras de gammes inférieures et de la concurrence, et l’opérateur doit alors composer avec les limites d’une dynamique plus réduite qu’en film.

Cela dit il faut relativiser l’importance de ce paramètre, souvent survalorisé par certains opérateurs… et par Kodak : il n’y a pas si longtemps les pellicules avaient une dynamique inférieure, voire très inférieure (le Technicolor !) à celles de nos caméras numériques et cela n’a pas empêché de grand chef opérateurs de signer des images immortelles !
Et de toutes façons le problème disparaît avec des caméras comme la canadienne Dalsa Origin, qui surpasse les caméras 35mm sur tous les paramètres : elle code chaque canal couleur sur 65536 niveaux (soit une capacité totale de 281474976710656 couleurs, ça c’est de l’overkill !), offre une latitude de pause 2 fois supérieure à celle du film et surtout une résolution 4K (image de 4094 x 2048 pixels).
A court terme la dynamique du numérique ne sera plus un problème.

Critère moins intuitif, la profondeur de champ dénonce souvent le format de prise de vue. Même à la TV on reconnaît immédiatement une image vidéo, une image 16 ou 35mm, indépendamment de la résolution, du grain ou de la texture. Ce n’est pas une question de filière argentique ou numérique mais de taille de la fenêtre de prise de vue : plus elle est petite, moins le jeu sur la profondeur de champ est sensible. Le 16mm et la HD, dont les tailles de senseurs sont proches, ressortent ici de la même esthétique alors que la HD est plus proche du 35mm en terme de résolution.
C’est encore plus sensible en HDV : même en travaillant à pleine ouverture, une caméra à petit capteur (typiquement 1/3’’ en HDV) peut fournir une image fine mais ne peut rivaliser avec une HDCam (2/3’’) et encore moins avec le 35mm ou une Arri D20 (caméra Dcinema allemande) pour ce qui est de la modulation de la profondeur de champ.

L’effet inverse est perceptible même sur des copies DVD de films tournés en 35mm et en 70mm. Comparez les images de My fair lady (70mm) et de Gigi (35 scope), des films aux codes esthétiques comparables. Pourtant ramené à la définition du DVD (720x576 pixels en PAL, 720x480 en NTSC), dans My fair Lady le net semble toujours plus net, le flou plus flou et l’image est globalement plus contrastée ! Si les caméras Dcinéma comme la Panavision Genesis ou l’Arri D20 ont choisi des capteurs de taille équivalente à celle du Super35 (24,89 x 18,67mm), c’est pour retrouver la logique esthétique du 35mm, cette facilité à jouer sur la profondeur. Leurs capteurs plus grands ne fournissent pas pour autant plus de détails que des caméras du genre Sony HDCAM SR ou Viper, qui utilisent des capteurs 2/3’’ (5,4 x 9,6mm) : la filière HD 2k travaille en 1920x1080 pixels. Toutefois elles rendent ces détails différemment, car à résolution égale il est plus facile de respecter le contraste des détails fins avec un capteur de grande taille et l’optique correspondante.

Reste le problème de la résolution. Que la résolution TV soit inférieure à celle du film est une évidence –particulièrement en zone NTSC ;-). Pourtant les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air. La résolution est un paramètre… flou ! On la mesure en photographiant des traits noirs et blancs de plus en plus rapprochés. En vidéo elle s’exprime en nombre de lignes par hauteur d’image, et au cinéma en cycles ou paires de traits par mm. Or 50 cycles au mm n’implique pas du tout la même qualité en 35mm et en 16mm, où l’image est beaucoup plus petite. C’est pourquoi il semble plus cohérent d’exprimer cette résolution en lignes par hauteur d’image. Cela permet de comparer des images de genèses différentes.

Le négatif 35mm peut dépasser les 2000 lignes, face aux 1080 de l’image HD.
Le 1er problème est que ces chiffres ne recouvrent pas la même chose : dans le cas du film Ils signifient une limite où le système est a genou et donne la même valeur aux traits noirs et aux traits blancs de la mire test, dans l’autre on a une image qui ne contient pas de détails plus petits qu’une certaine limite mais à cette limite les détails peuvent encore être très contrastés. Le 2ème problème est que la résolution du film se dégrade très vite, à chaque étape de la production de copies. Une étude internationale a démontré qu’en moyenne la résolution des projections 35mm était seulement de 686 lignes ! Les tests ont été menés à Orlando, Los Angeles, Montréal, Paris et Rome. Le dossier est téléchargeable sur le site de la CST (Commission Supérieure Technique française, www.cst.fr/spip.php?article115), qui participait à l’étude. Pour mémoire, la présentation à Cannes, il y a 2 ans, de Star Wars III passa techniquement pour la plus belle projection jamais vue au festival ; le fichier numérique n’affichait que 800 lignes !

Face à cela, la résolution de 1080 lignes reste constante dans la chaîne numérique, et au final semblera plus nette, même reportée sur film. Ce n’est pas tout : les senseurs numériques se comportent différemment de la pellicule. Si le film enregistre les détails avec un contraste d’autant plus faible qu’ils sont fins, jusqu’à la limite où l’œil ne distingue plus entre traits noirs ou blancs, en numérique l’image est comme une mosaïque utilisant des tesselles très fines : deux pixels successifs peuvent être l’un noir et l’autre blanc et présenter un contraste maximum, même si un détail plus petit ne peut être représenté. Les optiques HD sont très optimisées pour tirer profit de cette caractéristique et préserver le contraste.

Sur pellicule, à la résolution limite de la HD, le détail a perdu plus de 80% de son contraste original en 35mm et il a quasi disparu en 16mm alors qu’il est parfaitement défini par une caméra numérique haut de gamme comme la Sony F23, nous avons pu le vérifier grâce à une nouvelle mire de résolution et au nouveau moniteur Sony haute définition à écran plat. Même si l’image ne comporte que (?) 1080 lignes, le contraste est transcrit comme si le système pouvait en passer beaucoup plus.

En fait le phénomène se manifeste déjà en résolution SD : sur cette mesure de la Fonction de Transfert de Modulation d’une petite caméra DV Sony tri ccd TRV900E, on voit nettement que la résolution culmine par construction à 576 lignes par hauteur d’image mais que le contraste y est encore de 46%, avec une logique de rendu du contraste correspondant à une résolution beaucoup plus élevée.

Le cas limite est le film en images de synthèse, qui s’affranchit des caractéristiques de transfert de modulation de l’optique de prise de vue. L’impression de finesse semble alors très supérieure à celle du 35mm, tous ceux qui ont vu une projection numérique 2k des dernières productions Dreamworks, Pixar ou du Arthur et les Minimoys de Besson peuvent en témoigner.

Cette sauvegarde du contraste des détails fins explique la transparence, mais aussi la « crudité », le « réalisme », le « manque de poésie » que certains reprochent à l’image numérique, même en résolution SD. Au niveau du négatif, le S16 peut atteindre une résolution limite proche de celle de la HD, mais avec un contraste très faible dans les détails (on est ici à la limite de perception) et en superposant la trame toujours changeante de la granulation. Ce peut être un atout esthétique… ou un handicap. Conserver ces informations implique de scanner le négatif en haute résolution et de rester ensuite en numérique car en filière argentique la dégradation est ensuite dramatique. Prétendre à une supériorité intrinsèque du S16 sur la HD est alors pour le moins tendancieux.

Autre point souvent négligé de la perception de la qualité : la stabilité. Une grande stabilité améliore encore la perception de la finesse d’image. Par définition elle est, en numérique, absolue, imposée par la matrice du senseur, fixe par construction. En film les tolérances mécaniques de la caméra, des pellicules négative, positive, des inters, des machines de tirages provoquent une instabilité sensible. Les sous-titres gravés au laser sur les copies sont souvent révélateurs : leurs mouvements viennent du projecteur et de l’état de la copie, ceux de l’image derrière signalent les erreurs cumulées par la chaîne de production.

En terme perceptif, la HD offre la logique optique du 16mm, la définition du 35mm et la stabilité de l’Imax. Les caméras Dcinema offrent en plus la logique optique du 35mm. La postproduction et l’exploitation numérique des films tournés en 35mm fait converger les 2 filières vers un niveau moyen de qualité supérieur… dont les disques haute résolution se font l’écho.

Certes, par rapport à une copie numérique d’exploitation en salle, peu compressée en jpeg2000, les copies HD-DVD et Blu-Ray dégradent l’image. Cette dégradation porte surtout sur la dynamique et le nombre de couleurs. Toutefois une compression soignée rend cette dégradation peu perceptible et la résolution spatiale est globalement respectée : une bonne projection en pleine HD donne enfin du sens au vieux fantasme du « Cinéma maison ».
Raison de plus d’être exigeant sur la qualité des disques qui nous sont proposés !

Auteur: Guy-Louis Mier
Date de publication: 04/12/2007
Dernière révision: 04/12/2007