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La promotion du cinéma québécois

Dossier
Garant de l’émancipation de son élite à travers l’appareil de l’État depuis plus de 100 ans déjà, le cinéma québécois, richesse à part entière de notre collectivité, est révélateur de l’évolution et de l’oralité de la société dans laquelle nous évoluons. Cependant, depuis quelques années, le cinéma d’ici a de plus en plus recours aux mécanismes préconisés par le système hollywoodien lorsque vient le temps de réaliser, de produire et de promouvoir ses propres fictions. Par exemple, la conception de bandes-annonces accrocheuses, la mise en branle de campagnes publicitaires de grande envergure et l’organisation du défilé des têtes d’affiche sur le tapis rouge des festivals sont quelques-unes de ces méthodes promotionnelles. Grâce à ces dernières, le cinéma d’ici et ses artisans connaissent une visibilité à l’échelle nationale, voire internationale. Mais plusieurs mystères demeurent. À qui profite toute cette promotion? Existe-t-il des enjeux de l’utilisation de ces méthodes sur la qualité de notre cinéma? Mais plus important encore, l’industrie du cinéma d’ici risque-t-elle de s’enliser davantage dans la machine hollywoodienne à faire des sous en sacrifiant la qualité de ses oeuvres et la crédibilité de ses artisans?
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Dans ce présent dossier, plusieurs spécialistes, principalement des critiques cinématographiques et des réalisateurs, ont accepté de répondre à ces questions et plusieurs autres. De plus, son contenu sera enrichi et dynamisé de leurs commentaires. Se sont prêtés au jeu de l’entrevue M. Denis Côté, ex-critique à l’hebdomadaire Ici et cinéaste qui nous a offert le long métrage Les États Nordiques, M. Jeremy Peter Allen, producteur et cinéaste torontois derrière le film L’Exécution, M. Philippe Falardeau, réalisateur et récipiendaire de trois Jutras pour son dernier film, Congorama, M. Jean St-Hilaire, critique au quotidien Le Soleil, et Mme Helen Faradji, qui travaille aujourd'hui à la fois en distribution de films, chez Atopia, mais également comme critique de cinéma pour la revue 24 Images et pour leur site web dont elle est la rédactrice en chef.


1) Le cinéma québécois : de plus en plus américain?
Fondement de notre société, le cinéma québécois reflète qui nous sommes depuis plus de 100 ans. Lieu à la fois de réussites artistiques et d’échecs relatifs de communication avec sa collectivité, le cinéma de chez nous reste un monument qu’il faut protéger.


Les débuts
Le 27 juin 1896, soit six mois seulement après la naissance officielle du cinématographe des frères Louis et Auguste Lumière, a lieu la première projection du cinématographe Lumières – appareil servant à enregistrer des photographies animées et à les projeter sur un écran – à Montréal. En 1906, le projectionniste Ernest Ouimet ouvre son premier cinéma commercial permanent, le Ouimetoscope, sur la rue Ste-Catherine. Jusqu’en 1940, la structure financière de la production demeure au stade embryonnaire, car à cette époque le Québec dépend encore des capitaux étrangers pour se développer. Le cinéma est alors dominé par les productions états-uniennes, anglaises ou françaises.


Une situation précaire (1940-1985)
À partir de 1940, plusieurs événements, dont la naissance de l’Office national du film du Canada, semblent engendrer des conditions favorables à la création d’une industrie cinématographique locale de longs métrages commerciaux. En effet, le cinéma parlant québécois était de plus en plus populaire puisqu’à partir de 1944, plus d’une quinzaine de films sont produits dont Un homme et son péché et La petite Aurore l’enfant martyre. Cependant, selon le critique et ancien professeur de cinéma Yves Lever, entre autres auteur du livre Histoire générale du cinéma au Québec, trois facteurs fragilisent l’industrie cinématographique. D’abord, le marché du film québécois ne touche qu’un public limité (3 millions d’habitants). Ensuite, la plupart des salles étaient monopolisées par les productions hollywoodiennes, qui avaient pour mandat de limiter la sortie des films québécois. Enfin, l’avènement de la télévision a entraîné une diminution de 50 % de la fréquentation des salles de cinéma.


Son fondement et ses valeurs
Deux grands cinéastes, Jean-Pierre Lefebvre (Les fleurs sauvages) et Gilles Groulx (Les raquetteurs), ont bien résumé ce que représente fondamentalement le cinéma québécois non seulement pour eux, mais aussi pour de nombreux Québécois. Pour Lefebvre, le cinéma est un rêve et davantage : « C'est devenu ce qui m'a semblé être une façon de vivre avec une certaine collectivité, de pouvoir m'insérer dans cette collectivité-là et d'espérer aussi que la réciproque soit vraie, c'est-à-dire que cette collectivité puisse s'insérer en moi par la suite. » Groulx, lui, affirme : « Il ne saurait être question de notre cinéma sans qu'il soit aussi question des conditions qui prévalent au Québec. La réflexion ne se retire pas du monde, même si l'on ne saurait y faire la part du réel et du rêve. »
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Pour Philippe Falardeau, le cinéma d’ici doit rendre grâce au genre documentaire des années 1960 (ex. : Pour la suite du monde) et 1970 (ex. : Duplessis et après). Il précise à ce propos : « Cet héritage documentaire a enrichi les genres du cinéma d’ici, ce qui a grandement contribué à en améliorer sa santé comparativement à celui du Canada anglais. » Et concernant les principales valeurs véhiculées dans le cinéma d’ici? M. Falardeau mentionne : « Dans les années 70, le cinéma d’ici était centré sur la question nationale et identitaire. Dans les années 80, on a eu un léger passage à vide. Maintenant, non seulement nous sommes entrés dans un cinéma vraiment varié, mais aussi dans une dynamique du box-office, ce qui coûte beaucoup en production. » En effet, selon M. Falardeau, réconcilier les cinéphiles avec le cinéma québécois a coûté beaucoup côté marketing. Dans cette perspective, il croit que le cinéma québécois s’approche davantage du modèle hollywoodien, car ce dernier est contraint de créer dans un paysage cinématographique déterminé par l’industrie. Néanmoins, il ne faut pas oublier que depuis ses origines, le cinéma d’ici est lui aussi tenté par un le désir de s’approprier le modèle qui lui permettra d’amasser le plus de sous. C’est d’ailleurs pour cette raison que le cinéma québécois est tiraillé entre le modèle états-unien du cinéma commercial et le modèle français du cinéma d’auteur. Selon Yves Picard, co-auteur du livre Cinéma et États-Unis, ce désir d’aller vers la tendance plus populaire se reflète dans l’esthétique et le fond du film : « L’amalgame de violence et d’émotion n’est pas propre au cinéma québécois. Il représente simplement une autre stratégie du jeune cinéaste états-unien qui veut démontrer avec peu de moyens qu’il sait maîtriser l’art des aînés. »
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M. Picard, énumère trois raisons qui sont à l’origine de cette tendance qu’ont certains artisans québécois d’aller vers le modèle hollywoodien, soit celui qui préconise le profit au détriment de la qualité et de la profondeur d’une oeuvre cinématographique. D’abord, il prétend que c’est l’occasion pour ces artisans de faire valoir l’expertise qu’ils ont développée grâce aux productions hollywoodiennes tournées ici. Ensuite, il critique la présence d’un public enjôlé par tout le superflu présent dans le cinéma commercial de nos voisins du Sud. Enfin, il déplore l’effritement d’une cinématographie aux valeurs profondes, puisque de plus en plus imprégnée du modèle hollywoodien.
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Le cinéma québécois du temps de Brault, aux équipes et aux éclairages légers et inspiré du réel semble peu à peu remplacé par le modèle hollywoodien puisque désormais plus léché et aux équipes de tournages nombreuses. Cette tendance paraît s’étendre jusqu’à sa promotion. En effet, le réalisateur Denis Côté prétend que depuis 1999 et 2000, le battage publicitaire des productions québécoises, plus précisément les méthodes utilisées pour promouvoir notre cinéma national, est de plus en plus calqué sur celui des Américains.


2) Cinéma québécois ou promotion douteuse de la culture d’ici?
Dans les années 1960 et 1970, le cinéma québécois relève davantage de l’artisanat que de l’industrie. De plus, sa promotion connaît des ratées en raison de son budget limité. À la même époque, aux États-Unis, chaque dollar investit pour produire un film est déposé dans la tirelire promotionnelle. À notre époque, au Québec, tel n’est pas le cas. Cependant, de plus en plus, les dirigeants des maisons de production d’ici utilisent des méthodes promotionnelles plus hollywoodiennes pour promouvoir leurs films.


Les bandes-annonces
La conception de bandes-annonces accrocheuses plusieurs mois à l’avance est souvent privilégiée pour promouvoir un film. Méthode empruntée à nos voisins du Sud, ce type de publicité de masse consiste à annoncer la sortie d’un film sur un très grand nombre d’écrans, à l’échelle nationale. Cette méthode promotionnelle oblige le producteur à investir un montant publicitaire considérable (ex. : 2 millions de dollars pour Bon Cop, Bad Cop) pour encourager le public et entretenir le désir de ce dernier de voir son produit. M. Jeremy Peter Allen, réalisateur et producteur, croit que ce procédé publicitaire (qui n’est pourtant pas exclusif au cinéma) est de loin le plus puissant pour créer un lien efficace entre le film et son public cible. Pour ce faire, les concepteurs réalisent la bande-annonce en suivant une direction particulière, c’est-à-dire en traçant une ligne émotive plus ou moins inspirée du film dans le but d’émouvoir le public. « Ici, on les fait plutôt bien. Les distributeurs utilisent parfois des méthodes américaines, mais elles sont éprouvées. Mais elles ont aussi un côté pernicieux. En effet, parfois, nous voyons une bande-annonce et nous pensons que le film est bon, mais quand nous allons voir ce même film, nous voyons qu’il est plutôt ordinaire. », avance M. Peter Allen. Cela signifie-t-il que l’axe émotif préconisé par les bandes-annonces n’est pas nécessairement garant de ce que nous voyons à l’écran?


Les festivals
D’abord, l’utilité de cette méthode promotionnelle est de faire voir aux cinéphiles tous les films qui seront primés, et ce, en adoptant les visées promotionnelles d’un cinéma de qualité, différent et sortant des cadres usuels fixés par la grande industrie, soit celle plus populaire et hollywoodienne. Ensuite, elle veut inciter les distributeurs à s’intéresser davantage à un cinéma plus international. Enfin, l’objectif des festivals est d’amener ces films à être présentés dans les grandes salles commerciales. Les festivals deviennent alors les agents officiels de l’internationalisation de l’exploitation commerciale tout autant que nationale. Pour ce faire, ils misent sur les vedettes de l’heure, le cinéma jeune et dynamique, les productions locales, personnelles et engagées (ex. : Crazy).
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Cependant, M. Peter Allen met un bémol : « Cette méthode n’est pas la meilleure pour rejoindre le plus large public. Du côté de la production, elle n’a pas beaucoup d’impact sur le box-office. » Mais il assure que le contraire peut arriver si un film et ses artisans remportent un prix aux festivals les plus influents soit ceux de Toronto, de Venise, de Berlin et de Cannes. Il conclut, non sans amertume : « Celui de Montréal, on n’en parle même pas, car il a perdu beaucoup de ses plumes. Même les distributeurs le pensent puisqu’en termes de rentrées, ça ne donne pas grand-chose. »


Le junket
Pour assurer la promotion d’un film, les producteurs ont souvent recours à la pratique du junket. Cette méthode consiste à inviter un nombre restreint de critiques cinématographiques pour leur faire connaître un film en cours de production ou dont la sortie en salle est imminente. Cet acte communicationnel, similaire à la conférence de presse et dont les principaux acteurs sont les producteurs et le critique, a parfois lieu dans un pays étranger (ex. : Congorama lors du Festival de Cannes 2006). Plusieurs privilèges sont accordés au critique. D’abord, celui d’obtenir une entrevue avec le réalisateur ou la tête d’affiche du film. Ensuite, il arrive souvent qu’il soit invité à la projection d’un extrait du film en cours de montage. Enfin, lorsque le film est en cours de production, on l’invite parfois sur le lieu du tournage pour lui permettre de vivre une expérience unique, et ce, en direct.
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Cependant, sont attendus, en retour, des résultats concrets de cette invitation tous frais payés comme un bon mot sur le film dans un article ou sur les ondes. M. Allen est d’ailleurs catégorique : « Le junket est très pernicieux, très manipulateur et très américain. Il s’agit en fait d’acheter de bonnes critiques. Bref, si tu fais une bonne critique, tu seras invitée à nouveau, sinon, tu ne le seras plus. »


La «peopolisation» médiatique
Ce phénomène, présent tant dans la presse écrite qu’à la télévision, est originaire du Star System des années 1950. Bien qu’il reflète une réalité présente depuis longtemps, le terme qui le désigne, peopolisation, est pourtant un néologisme français apparu pour la première fois en France au début des années 2000. Considéré encore étranger au Québec, il qualifie non seulement les personnalités du monde du spectacle, mais aussi celles du monde politique, sans toutefois s’intéresser à des mouvements de fond ou à des idées; seulement à l’image des personnalités ciblées.


Peopolaire depuis longtemps
Les grands studios hollywoodiens ont compris depuis longtemps que la peopolisation médiatique constitue un moyen de choix lorsque vient le temps de vendre leurs films. Depuis quelques années, il en est de même pour les producteurs et les distributeurs.
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Le procédé est simple : les dirigeants des studios s’allient avec des journalistes chargés de propager la popularité des vedettes de leur film. Ces dernières sont alors réduites à être des produits d’appel pour les films dans lesquels elles jouent. « Cette grosse boucane autour du succès fabriqué du cinéma québécois se dissipera tôt ou tard. Cela a déjà commencé : les gens voient bien que Guide de la petite vengeance est un petit film, avec ou sans tout le casting qui vient sourire à Flash ou à Tout le monde en parle. », mentionne le réalisateur Denis Côté.


3) Bon Cop, Bad Cop et Nouvelle-France : un succès, un échec
Il est dit que la meilleure mise en marché d’un produit dont personne ne veut n’a jamais accompli de miracles. Nouvelle-France, un film de Jean Beaudin en est un exemple. La stratégie de promotion comporte deux étapes cruciales, lesquelles doivent servir au film avant et après sa sortie en salles. Avant, il s’agira de créer un buzz positif pour faire en sorte que le film existe dans l’esprit du plus grand nombre de personnes possible. Après, il faudra maintenir le désir du public à voir le film. Pour cela, producteurs, distributeurs et attachés de presse disposent de nombreux moyens, lesquels ont tous été utilisés pour la promotion du succès de l’année 2006, le film Bon Cop, Bad Cop.


Bon Cop, Bad Cop : chronique d’un succès annoncé
En plus des 8 millions de dollars qu’a coûtés la production de ce dernier succès d’Érik Canuel, 2,8 millions de dollars ont été nécessaires à sa promotion. Le président de la Cinémathèque québécoise, Kevin Tierney, a déclaré dans une récente entrevue réalisée par Robert Daudelin, de la revue 24 Images, que le succès du film s’explique en premier lieu par la sympathie ressentie par le public à l’égard des personnages. Toutefois, il a mentionné que les méthodes promotionnelles employées plusieurs mois avant la sortie du film, ont aussi contribué à son triomphe au box-office.
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D’abord, Alliance a amorcé sa mise en marché par la diffusion massive d’un simple teaser de 50 secondes. Par la suite, elle a usé d’une méthode plus américaine, soit la pose de banderoles géantes dans toutes les plus grandes salles de cinéma; méthode très coûteuse, mais très efficace selon M. Tierney. Enfin, les attachés de presse ont lancé une campagne de séduction ultime de type « parapublicitaire », dont l’objectif était d’occuper le maximum de place à un moindre coût. Leur tâche était de distribuer des communiqués, d’assurer la multiplication des fronts, de « vendre » les têtes d’affiche du film aux émissions radiophoniques ou télévisées prêtent à les accueillir et d’assurer la présence des vedettes du film, Patrick Huard et Colm Feore, sur le tapis rouge des festivals.
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Après la sortie de Bon Cop, Bad Cop, les premières critiques apparues dans les médias, les arguments de publicité et de vente, (son aspect esthétique, son montage rythmé, sa prédilection pour les bagarres, les poursuites infernales, les jokes crues et le mélange des genres, dont la comédie policière et le film d’enquête avec le méchant serial killer) essentiellement issus de nos voisins du Sud, ont favorisé son effervescence. Ainsi, le succès de Bon Cop, Bad Cop prouve qu’une bonne campagne promotionnelle à la Hollywood peut être favorable au cinéma d’ici puisque le film d’Érik Canuel est devenu le plus lucratif de l’histoire du cinéma québécois avec un cumulatif de près de 10 millions de dollars en entrées! Cependant, d’autres films n’ont pas eu cette même chance…


Nouvelle-France : chronique d’un échec annoncé
Réalisé en 2004 par Jean Beaudin et coproduit avec la France et l’Angleterre, Nouvelle-France est encore aujourd’hui la plus grosse production québécoise avec un budget inégalé de 33 millions de dollars. Tourné simultanément en français et en anglais, ce film est vaguement inspiré de deux histoires, soit celle d’un amour impossible entre une jeune veuve (Noémie Godin-Vigneau) et François Le Gardeur (David La Haye) et celle des derniers jours de la Nouvelle-France. Outre ces deux vedettes québécoises, Christal Film croyait être en mesure d’attirer un grand nombre de cinéphiles à l’aide d’une distribution internationale de choix, dont Irène Jacob et Vincent Perez, deux acteurs français, et Tim Roth, célèbre en Angleterre.


Critiques dévastatrices
Cependant, avant même la sortie massive du film en salle, les critiques l’avaient démoli. Entre autres, plusieurs reprochaient au titre d’être trompeur en ce sens où l’histoire racontée n’était pas celle de la Nouvelle-France, mais plutôt une histoire d’amour tragique. Le réalisateur lui-même l’a reconnu puisqu’en octobre 2005, lorsqu’il a présenté son film à Toronto, il a affirmé, lors d’une conférence de presse, que l’histoire de la Nouvelle-France était la toile de fond de l’histoire d’amour entre Marie-Loup et son coureur des bois. Il a conclu en disant que son but d’alors était de réaliser un film populaire, comme ceux des Européens et des Américains.


Promotion maladroite
Les procédés de marketing employés par ses distributeurs, dont la sortie d’une bande-annonce plusieurs mois à l’avance, n’ont pas favorisé son succès dans sa propre patrie. En effet, ici, le film de Jean Beaudin a seulement engrangé 2,4 millions de dollars en recettes, ce qui est considéré, par plusieurs spécialistes, comme un véritable échec commercial étant donné le lourd budget alloué à la production de ce long-métrage. Mais l’échec commercial de la fresque historico-sentimentale de Jean Beaudin s’est confirmé en France, où la superproduction québécoise avait perdu, lors de la deuxième semaine de projection, les trois cinquièmes de ses copies. En effet, au départ, le film de Beaudin était projeté sur 92 écrans pour finalement l’être que dans 35 salles; seulement 16 800 cinéphiles s’étaient déplacés pour voir le film, soit une moyenne d’une demi-douzaine de spectateurs par projection! Selon certains spécialistes, la mauvaise orientation de la part des distributeurs serait la cause de cet échec à l’étranger puisque n’ayant pas montré le film ni à la presse ni à aucune critique, à l’exception du journal Le Monde. De plus, bien que la promotion ait joui d’une importante campagne d’affichage, cette dernière n’en disait que très peu sur le film et n’était pas très «vendeuse» puisque rien n’insistait sur l’origine du film ni même sur les moyens considérables que le tournage a nécessités.
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Le mauvais emploi des méthodes promotionnelles de même que l’emploi des mauvaises méthodes peut être nuisible ou non à un film. Selon plusieurs spécialistes, dont le réalisateur Denis Côté et la journaliste Helen Faradji, la critique a son rôle à jouer dans toute cette démarche à condition qu’elle puisse être réalisée en toute liberté, c’est-à-dire sans être confinée à des critères superficiels.


4) Critique cinématographique et médias analyse partielle d’une collaboration douteuse
Selon François Truffaut, la critique cinématographique n'est pas une profession ni même un métier, mais un expédient. Il croit que son exercice est admissible, à condition de le considérer comme un emploi provisoire, un stade transitoire. Pendant que d’autres prétendent que la critique est l’art de juger les oeuvres de l’esprit, certains spécialistes jugent que plusieurs critiques d’aujourd’hui, et ce, dans la plupart des médias, valorisent de moins en moins la critique dite constructive, sérieuse et libre de l’art cinématographique. L’un d’entre eux, le cinéaste Denis Côté, dénonce cette réalité peu reluisante : « La véritable critique libre n’existe plus beaucoup au Québec. Le critique ne peut librement mettre l’art en contexte ni le critiquer négativement ou avec exigence, car chaque élan critique vers le négatif met en jeu l’équilibre publicitaire des choses. Bref, la liberté d’écrire ou de s’exprimer sur le cinéma n’existe plus beaucoup. » Mais il est à se demander si la critique peut vraiment être libre puisque ses principes de base ne semblent pas être considérés. D’abord, la critique cinématographique est la façon dont s’y prend celui qui l’exerce pour produire un texte véhiculant généralement un jugement sur un film vu. Il s’agit d’un type d’écriture dont la spécificité provient de la vision qui se veut souvent objective sans jamais l’être. Ensuite, souvent, le critique doit laisser parler ses références inconscientes, soit son rapport avec le film vu et avec le réalisateur de ce dernier entre autres, d’où l’émergence d’une subjectivité sous-jacente. Finalement, un critique doit garder une part d’objectivité dans la présentation qu’il fait de l’oeuvre et doit être spécialisé, ou du moins posséder une importante connaissance du domaine auquel appartient l’oeuvre dont il parle.
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À ce propos, Helen Faradji déplore: « L’émission Prochaine sortie, diffusée à Radio-Canada, est co-animée par des personnes qui n’ont pas le parcours nécessaire pour faire une critique profonde du cinéma. De plus, la vraie critique a de moins en moins sa place. Récemment, l’hebdomadaire montréalais Ici m’a remerciée parce qu’on me jugeait trop intellectuelle et pas assez populaire. » Mme Faradji continue dans la même lancée en dénonçant la critique à tendance populaire (anecdotique), laquelle elle juge trop présente tant dans les émissions radiophoniques et télévisuelles que dans la presse écrite. En effet, elle croit que le cinéma, la critique et le critique y perdent de plus en plus en crédibilité. Philippe Falardeau, de son côté, va dans le même sens et croit que les très bonnes critiques viennent des revues spécialisées, dont 24 Images. Il va même jusqu’à ajouter : « Dans le Voir, il y avait de bons critiques, mais ils ont tous été mis à la porte, car l’intellectuel n’est pas valorisé. » Même son de cloche chez Jeremy Peter Allen : « Au Québec, il y a place à amélioration même si on n’est pas trop à plaindre, car il y a quand même des personnes qui ont des choses intelligentes à dire, qui ne jouent pas le jeu de la distribution. Par exemple, dans l’hebdomadaire Voir, ce n’est pas très fort, mais 24 Images est une revue de qualité. Cependant, ce n’est pas encore la France, où le réseau de critiques est très fort. »


Un métier aux priorités incertaines
Le métier de critique cinématographique ne confine pas ceux qui l’exercent sur leur chaise, devant leur petit pupitre, crayon à la main. Certains privilèges leurs sont accordés dont celui de ne pas avoir à payer pour aller voir les films. Cependant, ceux qui le pratiquent font face à un dilemme important : parler de l’oeuvre selon leurs goûts personnels ou encore admettre le succès ou l’insuccès d’un film auprès des autres. En effet, chaque film a son spectateur. Or, les critiques ne sont pas chacun d’eux puisqu’ils sont tout le monde à la fois. N’empêche qu’ils doivent construire une critique de qualité, et ce, peu importe le média pour lequel ils oeuvrent. À ce sujet, Pierre Sormany, auteur du livre Le métier de journaliste, déclare que le métier de journaliste culturel, dont les critiques cinéma font partie, devrait reposer sur les pensées du créateur, les raisons qui l’ont poussé à créer son oeuvre, sur la performance des artistes, sur les procédés esthétiques utilisés, etc., et ce, peu importe le média pour lequel il oeuvre. Cependant, il croit que le monde du journalisme culturel s’est quelque peu divisé. En effet, selon lui, on retrouve ceux qui couvrent la « communauté artistique », dont les propos appartiennent davantage au potinage, au peopolaire, et « les autres, les vrais », qui s’intéressent davantage aux oeuvres elles-mêmes, à leur créateur et à leur mode de production.
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M. Jean St-Hilaire, qui critique occasionnel pour le journal Le Soleil, signale que la critique doit être sérieuse. Il croit que celui qui la rédige doit prendre le temps de s’asseoir, d’écouter, de regarder, de juger le film, et ce, tout en prenant en compte la réaction du public. De plus, il indique que le journaliste critique doit réinsérer l’oeuvre qu’il critique dans son triple contexte : « Le critique doit mentionner de quoi parle l’oeuvre, expliquer en quoi elle est innovatrice et révéler l’intention de son créateur. » À ce propos, M. Falardeau dénonce le problème suivant : « Sur le plan culturel, on n’est pas très sévère à l’endroit des films. Les débats sont juste axés sur "J’aime, j’aime pas ". Ce n’est pas valable. Il manque de justification. Est-ce que le cinéphile est capable de réfléchir sur ce que le film raconte? Le point de vue critique renvoie à sa façon de regarder et de réfléchir, c’est une vraie analyse. »
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Selon M. Sormany, il arrive que la critique puisse être de nature plus personnelle, car si un journaliste n’aime pas le réalisateur d’un film, la critique de ce dernier pourra être mauvaise. C’est parfois dans ces circonstances que le film peut être un échec commercial avant même sa sortie, et ce, même si les méthodes promotionnelles déployées pour le promouvoir sont perçues comme efficaces.


5) La promotion « hollywoodienne » du cinéma d’ici : la réalité des enjeux
Certains spécialistes condamnent le fait que plusieurs cinéastes ne sont plus entièrement libres de défendre et de représenter leur film puisqu’ils doivent désormais, pour la plupart, se plier à la tutelle d’un producteur. De plus, d’autres déplorent le fait que la fonction du producteur à l’égard de la création en sera plus une de contrôle que de soutien étant donné qu’il doit répondre lui aussi à de nombreuses exigences de viabilité commerciale du film.
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Selon Téléfilm Canada et l’Office national du film (ONF), l’envahissement du modèle hollywoodien dans la sphère culturelle québécoise est à l’origine de ces problématiques. D’une part, ils mentionnent que la rentabilité économique prime de plus en plus sur les dimensions culturelles. D’autre part, ils déclarent que la libéralisation des marchés et l’intégration économique mondiale voudraient qu’une logique appliquée à toutes les industries le soit aussi aux industries culturelles : celle du retrait de l’État et de ses politiques de soutien visant à promouvoir la culture. Cependant, encore aujourd’hui, la «mentalité industrielle» est encore présente, et ce, même si le Québec a adhéré, il y a de cela plusieurs années, au rang des États qui favorisent l’« exception culturelle ». Mais en prônant l’utilisation des méthodes promotionnelles de l’Oncle Sam, plusieurs enjeux entrent en conflit avec cette politique. En effet, toujours selon Téléfilm Canada et l’ONF, ces méthodes risquent de désobéir à certains de ses principaux objectifs, dont ceux visant à promouvoir l’identité culturelle québécoise et à défendre de l’importance de la création, laquelle est axée sur l’innovation de ses créateurs entre autres.
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Ces deux organismes ne sont pas les seuls à relever des problématiques causées par l’emploi de certaines de ces méthodes dites «hollywoodiennes». Cette situation préoccupe aussi Philippe Falardeau, qui craint que certaines de ces méthodes entraînent un glissement dangereux vers le cinéma commercial : « Les enveloppes à la performance remises aux producteurs servent souvent à faire de mauvais films. Le cinéma d’auteur et le cinéma commercial sont donc inégalement financés. », ajoute-il. Même son de cloche chez Jeremy Peter Allen, qui croit que certaines des méthodes promotionnelles utilisées, particulièrement le junket, permettent trop souvent à des mauvais films de se faire connaître au détriment du cinéma d’auteur.
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Denis Côté continue sur cette lancée en déclarant que certaines de ces méthodes promotionnelles peuvent nuire au succès d’un film si ce dernier est vendu par un angle d’attaque qui ne lui convient pas : « Par exemple, si l’on vend Congorama comme un film d’action en placardant les autobus d’affiches et en créant une bande-annonce où Paul Ahmarani court partout sur une musique tonitruante, l’angle d’attaque sera mauvais et le public gueulera vite. » Avec la même ardeur, il ajoute : « Il y a trop de dépenses d’argent public et d’engouement "arrangé" de connivence avec les médias pour des films sans grand intérêt, inexportables (sic). » Il croit toutefois que ces méthodes peuvent parfois être positives : « Une quantité nouvelle de gens, de jeunes et de non-cinéphiles utilisent une phrase impensable il y a 10 ans : "C’est québécois ça doit être bon!" Et on l’entend souvent maintenant. Cet engouement est directement relié aux nouvelles méthodes de convergence entre distributeurs et médias pour donner l’impression qu’un film québécois est toujours un événement. D’un côté, on rigole, mais d’un autre, des films plus intéressants comme La Neuvaine ou Congorama en profitent aussi. » Mais Jeremy Peter Allen évoque que toute cette promotion entraîne un « effet pervers radicalement divergent du champ cinématographique » soit l’existence de rapports complexes et tendus entre l’appareil promotionnel et les journalistes, qui laissent entrevoir la combine que les deux groupes ont développée au fil des années.
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Mais encore, Téléfilm Canada et l’ONF rappellent que l’utilisation de ces méthodes hollywoodiennes risque de compromettre la place du public au coeur des préoccupations culturelles. En effet, il semble que cette démocratisation de la culture voulue par l’État de même que son intention d’offrir à la population québécoise des oeuvres de qualité soient mises en péril. Philippe Falardeau abonde dans la même direction. D’une part : « Certaines de ces méthodes promotionnelles, au lieu d’encourager la consolidation et le rayonnement de l’industrie cinématographique québécoise risquent davantage de la nuire. » Il ajoute : « Avec les enveloppes à la performance remises au producteur, ça n’aide pas. Et étant donné qu’on finance nos films avec les fonds publics, les films d’auteur devraient avoir la même chance. Au final, il ne faut pas faire de différence entre les films commerciaux et le film d’auteur. » Finalement, il croit qu’étant désormais une industrie, le cinéma québécois voit alors son objectif premier, son intention créatrice, s’envoler en raison de toute cette promotion de masse axée sur la performance.
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À qui profite toute cette promotion? Il semble que ce travail insistant de la mise en marché médiatique profite à la visibilité des oeuvres et constitue à n’en pas douter un facteur positif dans l’engouement du public québécois pour son cinéma. En effet, les grands succès qui drainent les foules vers les salles amènent un effet d’entraînement dont bénéficient certaines productions moins systématiquement soutenues. Cependant, l’avis de Denis Côté n’abonde pas dans ce sens : « Si je veux jouer au super optimiste, je dirais que cette promotion profite un peu à mes tantes et à ma mère, qui finalement considèrent le cinéma québécois valable et que ça peut valoir la peine de payer 10 $ pour aller voir un film québécois. Mais tu me demandes à qui profite cette promotion. À quelques producteurs, aux distributeurs et aux propriétaires de salles, la mafia de l’industrie. Ils contrôlent tout. Pas de doute ni de zones grises là-dessus. Le système est fait pour eux. »
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Le modèle hollywoodien tente de plus en plus d’endoctriner le cinéma d’ici. Même si plusieurs de ses artisans éprouvent un amour sans borne pour le cinéma d’auteurs, l’industrie et ses dirigeants, dont les producteurs et les distributeurs, leur mettent sans cesse de la pression pour orienter leurs oeuvres vers le modèle le plus populaire, le modèle tout-puissant, soit celui priorisé par nos voisins du Sud. Le cinéma québécois, plus particulièrement sa promotion, éprouvent une certaine difficulté à rester dans sa ligne directrice, soit celle voulant un cinéma plus personnel, plus national, plus profond. Entre autres, Jeremy Peter Allen croit que ces méthodes promotionnelles empruntées à nos voisins sur Sud peuvent favoriser le cinéma québécois à condition qu’elles ne briment pas le cinéma d’auteur.
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Enfin, Denis Côté et Helen Faradji ont révélé qu’il faut être plus attentif à la critique puisque souvent biaisée. En effet, ceux qui la pratiquent ont rarement la liberté nécessaire ou encore les qualifications pour effectuer une analyse profonde de notre cinéma national.





Auteur: Barbara Couture-Simard
Date de publication: 12/05/2007
Dernière révision: 12/05/2007